Orientation

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Passe et Tartare

Catherine Raynaud

Si mon texte ne fut pas retenu aux journées d’automne, l’occasion  m’était donnée d’écrire, dans l’attente de dire, ce qu’il en fut de ma passe et de ses conséquences. Une longue analyse, véritable entreprise de démolition, m’avait conduite à ce point de rendez-vous : « l’Autre n’existe pas ». Un  grand éclat de rire me fit dire : «  je me suis bien faite avoir sur ce coup là ». Cet Autre, je l’avais supposé désirant, manquant, je devais  le satisfaire coûte que coûte, je l’avais supposé dévorant, Autre à figure de Chronos dont je m’étais faite la servile partenaire.  Un  Autre idéal censé ne manquer de rien. Un rêve, fait le soir même de ma rencontre avec le secrétaire de la passe, ainsi qu’une modification pulsionnelle inhabituelle, véritable mise en acte du symptôme, eurent pour effet  dans l’après-coup de cerner « ma marque de fabrique », soit l’impensable objet à bouffer pour cet Autre dans le fantasme.  Voici ce rêve.

« J’étais à Paris sur un marché, le secrétaire de la passe poussait des fûts de bière, il me dit : ‘Vous devez aller chez ce marchand là acheter de la viande.‘ Comme je n’avais pas un sou en poche il me donna cinq euros. J’allais chez le commerçant en question. C’était un étal où se vendaient des canards  prédécoupés, des jambons, des carcasses de ces étals que l’on voit sur  nos marchés  du sud-ouest. J’achetais de la viande crue, condition sine qua none pour faire la passe. Pour passer ! »

À ma  grande stupéfaction toute la durée de  ma rencontre avec les passeurs, je mangeais encore et encore des steaks tartares. La pulsion orale devenait folle et incontrôlable. C’est encore nauséeuse que je pense à ce qui fut presque mon menu quotidien, de la viande crue. La pulsion est violente, « ça bouffe » d’autant plus quand le fantasme n’arrive plus à la  canaliser ni à éponger les fuites. Fantasme devenu guenille, pauvre harde inutile qui laissait entrevoir l’envers du décor. Une brèche s’était ouverte. Entrevoir l’inexistence de l’Autre n’était-ce pas aussi entrevoir la jouissance prise à le faire exister ? Ce rêve venait à nouveau convoquer  mon Autre. Peu importe qu’il désire, l’essentiel n’est-il pas de le supposer désirant ? Cet objet va circuler sous couvert de ce que je fus dans son désir, un bout de corps, rien qu’un bout de corps. Venir  dans ce temps-là, occuper en même temps  la place de l’objet cause du désir  ainsi que cet Autre qui croque et qui dévore. Offrande sur l’hôtel du sacrifice, croyant rassasier un hypothétique Dieu insatiable, dans une étrange et mortelle communion. C’est avec pour toile de fond, un marché, un étal et un commerçant que la négociation peut commencer. Je te donne ! Tu me donnes ! Le vieux Charon réclame son obole pour passer. « Laisse-toi devenir, pourrait-il dire ». Cet Autre à figure de Chronos (le mangeur de chair) venait réclamer son du. Il fallait lui donner un peu de sa vie.Ainsi le devenant sujet paie-t–il de sa livre de chair, part à lui-même arrachée pour accéder à la mort.  C’est « chair » payé ! Ce bout de chair sera remis à l’Autre, condition sine qua none, dit le rêve, pour passer. Pas de tas (entendons pas de t’a), pas de passe. Et la pulsion se déchaîne sur cet objet, soit de la viande hachée menu menu. Étrange festin cannibalique que celui de dévorer sans relâche de la viande réduite en charpie, métaphore du signifiant qui pénètre la chair, explosion littérale de Das Ding, effet détonnant que la rencontre des mots sur le vivant. Véritable Bing Bang. Si la passe fut un probable aménagement, un acte qui venait dire que l’Autre n’existe pas, elle  semble avoir larguée les amarres, quelque chose au delà des limites du « permis », hors castration, venait sur le devant de la scène.

À ma grande surprise, lors de ma rencontre avec les passeurs, je ne leur supposais aucune attente particulière, ils n’étaient pas le support de mes désirs. J’étais soulagée, allégée de ne plus être la cause essentielle d’un désir déterminant dans mon histoire. Je les rencontrais sans me soucier de la façon dont à leur tour ils s’adresseraient au cartel. Je venais raconter là où j’en étais de mon analyse, avec cet étrange sentiment que cette histoire ne m’appartenait plus de la même façon. Je  n’avais aucune illusion quant à une nomination d’AE, et je ne savais même pas que certains pouvaient être proposés membre de l’École. La réponse négative du secrétaire de l’École ne m’affecta pas, ne cherchant pas à en savoir plus. Je restais très étonnée de ce que  suscite  la passe, souvent  auréolée de tant  de mystère, de déception, de tristesse, de colère, d’injustice. Je mesurais combien j’en avais fini avec ce partenaire que je pouvais laisser sur le bord du chemin. Je n’avais aucune revendication particulière. J’avais encore  du chemin à faire. A cette même époque, je recevais chez moi un seul analysant qui m’avait téléphoné pour avoir les coordonnées d’un analyste. C’est toute étonnée que je me suis surprise à lui dire «  Prenons rendez-vous ». Je n’étais certes pas  submergée par des demandes d’analyses, mais cela me convenait très bien, n’ayant aucune certitude dans le temps de venir et surtout de rester à cette place à mon tour. Puis ce fut une longue traversée du désert sans oasis à l’horizon. Ce désert là n’avait rien d’attrayant, ni de poétique. J’étais désarrimée, désanimée, en panne de désir. Je trimballais ma carcasse à longueur de journée en poussant des soupirs d’expiration, avec cette désagréable sensation de traverser la vie sans y être. Je n’avais plus d’attente particulière, plus de lieu où loger la cause de mon désir. Je ne savais plus faire avec l’Autre, je ne savais que faire sans l’Autre. J’avais perdu l’enthousiasme, le désir de vivre qui me caractérise. Au cours d’un contrôle, ces quelques mots de l’analyste « vous ne pouvez pas en rester là », firent que je fus saisie d’un terrible sentiment d’indicible tristesse, au point que j’eus bien du mal à retenir quelques larmes. Je repris donc le chemin du divan pour quelques temps encore. Je continuais néanmoins à recevoir deux analysants, d’autant plus que j’eus l’opportunité de partager un cabinet avec une collègue analyste. Bon nombre d’actes manqués rendaient cette position impossible. Je manquais trop souvent la sortie de rocade censée me conduire directement au cabinet et bien entendu j’arrivais en retard. Soit l’analysant attendait, soit lassé il partait. D’autres fois encore j’oubliais les clés. Il fallait reporter le rendez-vous. Puis je fus aphone. Rencontre manquée au rendez-vous de la parole. Refus des mots qui pourraient affecter la chair. J’essayais malgré toutes ces péripéties de tenir le cap. Devenir analyste ne se résumait pas  bien entendu à cette installation un brin chaotique. Devenir analyste peut être une manière de finir une analyse sans pour autant en finir avec elle. Cette passe, faite dans la précipitation, passe non authentifiée, ce qui ne veut pas dire pour autant absence de passe,  fut néanmoins la rencontre avec un savoir tout aussi stupéfiant qu’imprévisible. Après  des années d’analyse, c’était bien la première fois que je m’adressais à un autre : un passeur, selon un autre compte, quittant cet autisme à deux. Un extérieur cela fait du trois. Du trois qui va continuer dans la rencontre avec les deux passeurs, qui eux-mêmes vont transmettre ces paroles à d’autres. De ce fait, ce dire, change d’adresse .Un dire qui n’est plus adressé à un Autre maintenu dans le registre de la croyance, mais un Autre qui s’éloigne, se fragmente de par ces adresses multiples, pour devenir au fil du temps un simple lieu à même de recevoir le message. Des années furent nécessaires pour en mesurer l’incidence et goûter à ce doux sentiment de liberté enfin soulagée du poids de mon Autre, désenchaînée de son désir supposé. Accepter enfin de mettre le point final à ce duo imaginaire…Ô combien mortifère !

La cure m’avait conduite à ce point de rendez-vous : il n’y aura plus de « servitude » possible. La passe avait ouvert une brèche. La question du désir se posait différemment. Comment désirer hors l’objet qui le causait ? Qu’en est-il du désir non régulé par le fantasme ? Comment faire avec l’Autre tout en sachant qu’il n’existe pas sans pour autant le nier ? Ce désir différent convoque me semble-t-il le désir de l’analyste. Si ce désir pouvait parler, il pourrait dire ceci « être à cette place, se laisser chaque fois habiller des oripeaux de cet Autre pour chacun, se prêter à ce jeu de dupes, se faire le support de la jouissance pour celui qui parle, puis se laisser dévêtir de ces guenilles devenues inutiles pour celui qui part ».

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Trois curieuses lettres qui se sont transformées en effort de poésie

Noa Farchi

J’ai dû entrer en analyse où j’ai donné la parole à l’inconscient. Cela fit du début de cette analyse un acte irréversible car il me confronta à un choix forcé : soit être un corps traité par le discours scientifique ; soit le soumettre à la parole et à sa marque, celle de l’inconscient dans le transfert. Ce fut la clé de mon changement de discours.

J’ai commencé mon analyse en 2000 suite à un événement de corps concernant le cerveau. Il n’y avait pas d’explication médicale à ce qui s’était passé. Je restais perplexe : ‘Que m’était-il arrivé ?’  alors que ma profession à cette époque concernait la connaissance du cerveau.  Il était possible de le savoir à condition de faire la bonne recherche. Pourtant, cet événement de corps me fit trébucher pour la première fois sur le trou du savoir dans l’Autre, Autre que je connaissais – la science.

En outre la relation sexuelle avec mon ami était devenue intolérable. Là aussi, j’avais un symptôme, mais contrairement au premier, j’avais l’idée de son sens – mon symptôme disait « non ». Néanmoins, je ne savais pas clairement à quoi.

J’ai commencé mon analyse et, de la première séance, je me rappelle seulement le dernier échange : juste à la porte, en sortant, l’analyste me dit « alors, cela concerne le sexe et le cerveau. Les deux sont de trois lettres. » J’ai souri et incliné la tête en disant au revoir. Mais je me disais qu’on écrivait le mot cerveau (en hébreu) avec deux lettres, et de toutes façons, pourquoi le nombre de lettres devait-il être questionné ? Cette dernière phrase de la première séance n’avait pour moi aucun sens, j’ai même soupçonné la cabale, la mystique… Que calcule-t-elle là ? Cette référence bizarre à la lettre provoqua un soupçon doublé de curiosité.

De la séance suivante, la deuxième, je me rappelle l’échange initial. J’avais moins envie de parler, je disais que j’avais déjà beaucoup parlé et j’exigeais de l’analyste qu’elle me parle. La réponse fut que, sûrement je n’étais pas tenue de le faire, mais elle ajouta : « Vous êtes toujours soupçonneuse ?» Là, je fus choquée car je n’avais jamais considéré ma relation avec l’Autre comme étant marquée de suspicion.

Au cours de l’analyse, l’énigme a pris vie. Elle existait auparavant – personne ne savait la cause de l’événement de corps – mais la parole particulière en analyse a injecté de la vie à cette énigme et lui a fait prendre forme. Essayons de préciser ce qu’il en était avant. Quand le corps est énigmatique pour le discours scientifique, est-ce qu’il n’apparaît pas comme étant muet, car il n’y a ni nom, ni remède à son mal ? Est-ce un corps objectivé ? Je pense que c’était un corps sauvage. Être sauvage le rendait mutique, et, en analyse, il a réussi à prendre forme.

Le début de l’analyse fut très passionné, je me sentais comme un lézard marchant sur un mur, tout était sens dessus-dessous, et je m’y suis accrochée avec force. Et pourtant, ce fut un mélange de passion et de résistance. Une résistance passionnée, pourrait-on dire. Il me fallut beaucoup de temps pour garder mes chaussures avant de m’allonger sur le divan. Je n’ai jamais reçu une interprétation à propos de cette résistance, cette contingence corporelle, juste une directive « vous pouvez garder vos chaussures ». J’ai dû me laisser aller, mais il a fallu un certain temps. Je vais essayer de préciser ce que j’ai dû abandonner. Je ne voulais pas « gâcher » la place de l’analyste, plus précisément, je ne voulais pas laisser une trace de ma honte dans l’Autre.

Préalablement à l’analyse, je me suis permis d’être portée sur les ailes du désir parental. Le désir que j’ai connu par identification et par la position particulière que je pris par rapport au non-rapport sexuel parental. Je suis devenu accro à un mode de jouissance familiale, camouflée par la science comme un semblant de discours civilisé dans lequel j’ai pu exceller. Cette voie a été secouée par un événement de corps. Dans l’analyse, cela a cédé la place à l’ouverture de l’inconscient : je prends le risque de parler de mon désir.

Rétrospectivement, je trouve que la porte ouverte à la clinique en utilisant la médiation de l’écriture n’était pas liée au hasard. Même si les circonstances semblaient contingentes, mon premier travail clinique dans un établissement résidentiel pour patients psychotiques a été un groupe de poésie. Pourquoi dis-je cela? C’est qu’il s’agit d’une sensibilité différente au texte, différente de la surdité que j’ai eu pour les « trois curieuses lettres »… À un moment plus tard de mon analyse, quand je vivais à San-Francisco, j’ai eu une série de séances au téléphone. L’une d’elles a pris fin avec la phrase « Ne comprenez-vous pas que ce que je fais ici (à savoir d’être loin) est de détacher la voix de votre part ? » Après un court silence j’ai ajouté « la voix avec un ‘K’ ». Le mot « voix » en hébreu (Kol) est équivoque avec le mot « tout » (Col) – qui donne le sens – Je détache tout de vous ! La ponctuation de cette équivoque liait à la lettre l’objet voix avec l’Autre barré. Ce n’était pas seulement mon corps qui devrait prendre forme, mais aussi l’Autre, un Autre qui ne soit plus « tout ».

J’ai essayé dans ce texte d’écrire quelques moments du chemin qui m’a permis d’entrer en l’analyse et de changer de discours, c’est-à-dire, de changer ma position face au réel du non-rapport sexuel et éventuellement d’approcher à la question du désir de l’analyste.

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« How Little Things Make a Big Difference »

Guilaine Guilaume

« On a pensé que tu pourrais dire quelques mot sur ton désir d’entrer à l’ACF en tant que groupe, en tant qu’association ». Cette invitation à parler d’un moment particulier, ineffable, celui d’une décision, un instant si menu dans l’océan du temps, m’a inspiré le titre de mon intervention.

C’est dans son avant-propos au recueil des Lettres à l’opinion éclairée paru au Seuil en Janvier 2002 que Jacques-Alain Miller fait référence à un ouvrage de Malcolm Galwell, écrivain et journaliste américain. Le titre complet de l’ouvrage est : « The tipping point : how little things make a big différence ». The tipping point, c’est ce que l’on pourrait traduire en français par le point de bascule. Le livre de Galwell traite de l’épidémie d’opinion et Jacques-Alain Miller en fait usage pour rendre compte de ce phénomène inouï qui s’est produit dans l’opinion à partir de ce qu’il a nommé sa « sortie du désert ». Après les lettres, il y eut la création de l’Agence lacanienne de presse, les forums et plus récemment la reconnaissance d’utilité publique de l’ECF. Quant à ces petites choses qui font la différence, que ce soit dans le cadre de la cure analytique ou dans celui de nos interventions dans le social, nous sommes habitués à cette causalité non linéaire, où les conséquences sont sans commune mesure avec l’artefact initial.

Etincelles

L’invitation à parler de mon désir d’ACF m’a trouvée le 9 mai dernier, une semaine après la dernière main mise à une proposition de texte pour les Journées de l’École à Rennes. La contigüité de ces deux événements ne fut pas sans m’évoquer une continuité et a même provoqué un flou dans ma perception du paysage analytique, un moment de confusion où les frontières s’amollissaient, comme dans ce tableau célèbre de Salvador Dali « Persistance de la mémoire », où ce sont les montres qui s’amollissent. Cela fondait, comme un camembert bien crémeux, et ce qui apparut nettement grâce à cette contigüité, est que, ce qui fondait, était cela même qui avait tenu lieu, pour moi, jusqu’aux Journées de Novembre 2009, de frontière solide : l’ ACF en forme de barrière de protection à l’égard d’un extérieur, l’École, lancé à un rythme effréné depuis 2001, un rythme prostien de Formule 1. Le fleuve et ses rives ligériennes me semblaient plus à ma mesure que cet océan impétueux et tempétueux.

C’est en 2005, trois ans après avoir ouvert un cabinet de psychanalyse que j’ai fait ma demande d’entrée à l’ACF/VLB. Une collègue angevine, lors d’une séance de travail de cartel, m’avait lancé cette question : pourquoi ne présentes-tu pas ta candidature à l’ACF ? Jusque-là, être à côté, ne pas en être, être occupée ailleurs, symptomatisait mon petit malheur de névrosée analysante. Mais une fois la question posée, le ver était dans le fruit.

Contingence donc. Contingence de cette parole de l’autre qui aurait pu ne pas être, que j’aurais pu ne pas entendre, cette contingence qui tient une part non négligeable dans les points de bascule, dans l’accident qui fait rupture avec la routine, avec la petite jouissance quotidienne, celle de l’huître qui, une fois stimulée, referme sa coquille.

Nécessité ensuite. Qu’est ce qui fait passer de la contingence, d’un moment x, insignifiant, un moment qui aurait pu ne pas être, à la nécessité ? A la nécessité de se renseigner pour savoir comment s’y prendre, à qui demander, sous quelle forme. Puis à la nécessité de prendre la plume, d’écrire, de raconter, d’être candidate, de présenter cette candidature. Et enfin, à celle d’aller au bout de cela, de soutenir la rencontre avec une analyste, membre de L’École de la Cause freudienne, rencontre sans laquelle rien n’arrivera, d’y consentir, d’y être, de s’y tenir.

Le désir est au cœur de cela. Le désir en tant qu’il vient faire bord à la solitude irréductible. Il humanise cette solitude qui tient à la différence absolue et qui fait reconnaître chez les autres cette même place, « cette place béante d’où le rien nous interroge sur notre sexe et sur notre existence. C’est là, dit Lacan dans son Discours aux catholiques, la place où nous avons à aimer le prochain comme nous-mêmes, parce qu’en lui cette place est la même ». Pour cela, faut-il avoir dépassé, franchi, ce qui fut pour moi, en début d’analyse, l’analyse-prestige, l’analyste en saint homme heureux et en idéal à atteindre. Le désir sur lequel il vaut de ne pas céder à la place de la férocité d’un surmoi, façon : tentons l’impossible. Cet impossible résonne dans mon histoire d’une façon précise que je vous livre en quelques mots : le village de mon enfance porte un nom dérivé d’une époque où la peste a sévi. Il s’appelle Peuton, nom inscrit en lettres capitales à l’entrée de la bourgade sur une pancarte qui marquait pour moi, à l’âge de l’école maternelle, une frontière : avant la pancarte, j’étais accompagnée ; après la pancarte, je devais poursuivre seule jusqu’à l’école. Tous les jours, cette question me regardait : peut-on ? Peut-on aller seule à l’école ?

L’audace de la demande

La demande est l’autre versant de ce qui fait passer la contingence à la nécessité. Demander. Oser sortir du trou de souris, une sortie de la clandestinité. Il y a quelque chose du passager clandestin à y être sans y être. Formuler une demande, c’est cesser d’attendre d’être demandée, oser la demande, avoir cette audace, oser dire le désir libéré des entraves de l’imaginaire.

Avant de faire ma demande, tout en étant depuis des années en analyse avec un analyste de l’École de la Cause freudienne et en lien avec le grand chambardement angevin de 2002, j’ai fait « l’École buissonnière ». J’avais intégré un groupe de travail référé à une autre organisation psychanalytique lacanienne. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné pour moi ?

1-    il s’agissait de plusieurs de mes amis, qui s’étaient séparés des activités de l’ACF pour des raisons qui leur étaient propres et qui s’étaient regroupés. Je voulais les rejoindre, continuer avec eux. Mais faire communauté de travail sous la bannière de l’amitié et de l’imaginaire relève de l’impossible ou de la militance, de l’imaginaire au pouvoir et des pouvoirs de l’imaginaire. Je sais encore gré à mon analyste de ne s’être pas mis en travers de ce mouvement erratique, de quelque façon que ce soit, d’avoir laissé faire là où une quelconque ingérence aurait pu me persuader que j’avais raison, que les rumeurs étaient fondées ; cependant j’ai encore à l’oreille, une toute petite réplique à ma tentative de trouver du sens à cette errance : « ça, ce sont des histoires de papa-maman ».

2-    Oser la demande, oui, mais pas n’importe où. Le transfert, cela ne se commande pas. Là où c’est, cela doit être. Après ce moment d’errance, mon lien transférentiel se précisa, au-delà du transfert à mon analyste, sur cette Ecole qui sortait, elle aussi, de son trou. Les lettres à l’opinion éclairée et l’évidence que l’on conduit mieux sa vie et même une analyse en s’approchant de sa propre méchanceté plutôt qu’à viser un idéal relationnel gentillet, m’ont attirée comme la lumière attire un papillon de nuit. Je n’avais rien à faire là-bas, c’était ici et pas ailleurs. A cause du trait, du punctum au sens que Roland Barthes lui donne dans « la chambre claire » : le punctum comme second élément qui vient déranger le studium qui, lui, désigne l’application à une chose, une sorte d’investissement général, empressé certes, mais sans acuité particulière. Le punctum, c’est la piqûre, le petit trou, la tache, la coupure.

Un trait agalmatique

Ce trait, je l’identifie de deux termes : rigueur et exigence. Ce n’est pas sans lien avec la méchanceté. Ne pas laisser passer, ne pas se laisser séduire par les sirènes flatteuses du narcissisme qui habillent l’objet a. Mais plutôt exiger et tenir avec rigueur l’orientation choisie. C’est comme en cuisine : le mets ou le vin qui ont ma préférence ne sont pas ceux chargés de saveurs diverses, mais ceux qui sont préparés à partir d’une option et qui la soutiennent jusqu’aux limites du possible. Ce trait est un trait qui sépare et qui articule, ce n’est pas un trait d’union ; ce n’est pas : l’union fait la force. C’est plutôt dans la dés-union que chaque un rencontre chaque autre dans une ACF. De ce point de vue, c’est plutôt un manque qu’une identification qui a présidé à ma demande. Pour supporter la différence absolue, mieux vaut être à plusieurs, à plusieurs « tout seuls ». L’identification évoquée dans l’argument de cette journée m’évoquait plutôt un idéal à rejoindre, ce qui n’est pas ma démarche. Il s’agit plutôt de rejoindre d’autres « tout seuls », d’autres S1, d’autres uniques, orientés par le réel et non par l’idéal.

Écrire cela m’a fait me remémorer un texte du Docteur Lacan à l’égard duquel je conserve une proximité certaine, une sorte d’affection, un texte que j’avais présenté à une soirée des Cartels à Angers en 2004 : « La direction de la cure et les principes de son pouvoir ». Ce texte a, pour moi, quelque chose de fondateur. Il y est question de politique, de stratégie, de dispositif. Lacan y met en pièces – encore cette nécessaire méchanceté – certaines pratiques analytiques s’appuyant sur l’être de l’analyste et sur le contre-transfert. Dans ce texte, Lacan exhorte à constamment « réinventer l’analyse ». Car au fond, c’est bien parce que l’analyse est intransmissible que chaque analyste a à la réinventer. Mais cela ne se fait pas, à mon sens, seul dans sa pratique libérale, dans sa tour d’ivoire. J’avais donné à mon texte de cartel le titre suivant : pas de technique sans éthique, pas de technique sans politique. Cette dimension éthico-politique est ce que j’ai recherché en sollicitant mon entrée à l’ACF-VLB. Ne pas rester seule pour soutenir l’offre de la psychanalyse qui est la liberté de savoir ce que l’on ne sait pas et pour résister à l’abrasion généralisée de la singularité.

Du privé au public

« Que les psychanalystes aussi sortent dans la ville et se fassent entendre fait partie de notre désir d’ACF » : ainsi s’exprime Dominique Jammet de l’ACF-Aquitania dans la Lettre mensuelle n°286.

Que ce soit dans ma pratique libérale ou bien dans le CMPP qui m’emploie et où je suis la seule membre de l’ACF, j’ai de l’intérêt pour les pratiques dites de supervision, terme auquel Lacan préférait celui de « superaudition ». J’ai créé, en lien avec le directeur du CMPP une activité clinique en extension. Il s’agit, depuis 2002, de faire une offre dans la cité angevine pour soutenir des praticiens qui le souhaitent, sur leur lieu de travail, dans leur orientation auprès des personnes dont ils s’occupent. Dans ces interventions, on trouve souvent du groupe, soudé par un imaginaire et des idéaux qui entravent, qui ont un effet de colle. Une petite vignette illustre cela.

Au cours d’une séance dite de « supervision » qui réunit des médecins, assistants sociaux et puéricultrices, une assistante sociale présente une situation qui embarrasse toute l’équipe : elle se sent en difficulté, ne supportant plus la « tête à claques » que représente pour elle une jeune mère « suivie » dans le cadre de la « protection maternelle et infantile » (PMI).

Cette jeune mère lui dit : « Je ne sais pas parler aux enfants, je ne sais que les embrasser ». Elles ont repéré que la mère tient sa fille de 14 mois toujours collée contre elle, l’embrasse tout le temps, cela les inquiète pour l’enfant. Elles sont toutes d’accord : il faut que cette mère se sépare et inscrive sa fille à la halte-garderie. Convaincues de ce qui serait meilleur pour l’enfant, elles assaillent la mère pour qu’elle fasse cette démarche. La mère leur oppose : « On l’a attendue 1 an et demi, on l’a beaucoup désirée ». Une dernière démarche est tentée : l’assistante sociale est mandatée pour rencontrer la mère, seule, à son domicile et la convaincre d’inscrire sa fille à la halte-garderie. Mère qui conclut la rencontre par : « impossible, je suis passée devant la halte-garderie, j’étais bloquée, stressée. Il y a tellement d’accroche entre ma fille et moi, j’ai besoin de la garder pour moi ». En parlant de cette situation, l’assistante sociale se souvient qu’au cours de l’entretien, la mère a évoqué un séjour qu’elle a fait à l’hôpital peu de temps avant, séjour au cours duquel elle a craint d’être « gardée ».

Au cours de notre séance de travail, avoir fait résonner le signifiant « garder » qui sonne également dans « halte-garderie » a fait entendre à l’équipe quelque chose de nouveau, a ouvert une fenêtre sur le réel en jeu chez cette mère, a permis d’entendre sa langue à elle, celle dans laquelle se loge sa souffrance et peut-être bien aussi sa précarité psychique.

Un monde trop heureux

J’emprunte cette équivoque à l’un de mes patients qui fut bien surpris de découvrir que son bonheur quotidien (je suis trop heureux) entretient un lien serré avec une peur tout aussi quotidienne. Jean-Louis Gault, à Angers cette année, nous mettait en garde : l’inconscient existe si on se donne la peine de le faire exister. Il peut disparaître si personne ne le fait exister. Dans notre monde trop heureux, qui a peur de ce qui lui échappe, de ce qui le déborde, nous avons à soutenir une éthique : tu peux savoir et une orientation : se repérer sur le réel. Pour soutenir cela, il est nécessaire de s’y mettre à plusieurs. Ce « à plusieurs » est très particulier car une ACF n’est ni une assistance ni une assurance, c‘est une association. Il s’agit de s’associer au service de la cause analytique. Pour moi, cette décision et cet acte de devenir membre ont provoqué un redoublement d’autorisation, un au-delà de l’autorisation portée par le désir de l’analyste , une autorisation à soutenir cette cause dans le public.

Ce qui est inédit et absolument incomparable à quoi que ce soit d’autre dans le devenir membre d’une association psychanalytique, c’est la séparation que cela maintient par –delà les tentations de collage à une cause commune. Il n’y a pas de langue de bois ni e langue du parti. L’éthique, l’orientation est commune, il y a un « pour nous », mais elle n’est tenable que dans la séparation de chaque un, dans la promotion du style propre à chacun.

Il y a un « nous » du côté de la rigueur, de l’exigence et il n’y a que des séparés, des désassortis : chacun a sa petite musique qui lui est propre. Et même si c’est le cas dans des associations non psychanalytiques, la différence nodale est qu’une association psychanalytique s’appuie sur cette différence, cette dysharmonie, essentielle pour éviter les effets de collage et le bla-bla qui nous guettent toujours. Faire partie d’une institution analytique, c’est penser avec d’autres, c’est être constamment décomplété par les autres, la pensée de chaque autre. C’est aussi réaliser à plusieurs à partir d’un désir décidé des événements pour promouvoir la psychanalyse dans la cité.

Un désir d’école

« Rien n’aurait de sens sans le lien à l’ECF » dit Vincent Moreau dans la dernière lettre mensuelle.

La demande d’entrer à l’ACF prend sa place en articulation avec le travail de l’inconscient en analyse ; elle vient lorsqu’il est évident que l’on ne peut pas tout demander à son analyste, et en particulier ce qui ressort de l’étude de la psychanalyse. Le cabinet de l’analyste n’est pas le supermarché où l’on pourrait remplir son panier à sa guise : un peu d’études de texte, un peu de contrôle, un peu d’analyse. On se heurte fatalement à une non-réponse et on doit se débrouiller ailleurs pour trouver les moyens de vouloir ce que l’on désire lorsque ce que l’on désire, c’est qu’il y ait de la psychanalyse toujours vivante. Il y a là un réel irréductible. Ce qui a changé depuis ma demande d’entrée à l’ACF, et les Journées de novembre dernier y sont pour beaucoup dans la possibilité dévoilée d’entendre la musique de chacun et non un conformisme ankylosant, c’est que je ne souhaite plus me carapater derrière la bannière de l’ACF pour regarder de loin ce qui se passe à l’École des dissemblables. Je souhaite pouvoir franchir la pancarte et dire, non plus je peux mais je veux.

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Arriver… où ?

Dominique Chauvin

Je rate un rendez-vous avec mon ORL, je me rendors et je rêve : mon analyste, et ceci treize ans après la fin de ma cure, m’enjoint d’écrire un texte pour les journées de novembre. « Des gouttes », précise-t-il, en deux mots. Avant que je ne puisse lui objecter, comme je l’ai sur le bout de la langue, que ces grands rassemblements, que « ça me dégoûte », il interrompt la séance. Je me réveille sur ce signifiant énigmatique. Le plus remarquable à mes yeux est que mes associations renvoient à trois autres rêves, bien antérieurs, qui ont scandé des moments cruciaux de mon analyse.

Des gouttes (septembre 2009)

Ces gouttes me font d’abord penser à une distillation dans un alambic, à une opération de purification, de concentration, bref, au processus de réduction attendu d’une analyse. Le dégoût n’est pas un de mes symptômes majeurs, sauf à le relier à une période d’anorexie infantile. Il est vrai que je ne me sens pas très à l’aise quand il y a foule, mais qualifier cet affect de dégoût me paraît exagéré. Dégoût du savoir, sur lequel se terminent certaines analyses ? Ce n’est pas le cas, bien que mon transfert de travail connaisse des hauts et des bas. Il faut dire que, pendant la cure, l’amour du savoir avait littéralement envahi ma vie, où il n’y avait place pour rien d’autre que la psychanalyse et le travail. Mais si je renverse le dégoût en son contraire, comme le suggère Freud, cela ne renvoie-t-il pas au goût exclusif, intempestif, que j’eus de l’École pendant si longtemps ? Goût venu trop tôt, qui a été un frein plutôt qu’un moteur pour la cure, et qui se présente, enfin, sur un autre versant. D’abord désir d’entrer dans l’École, il est devenu désir de m’y faire entendre porté à sa conséquence, à savoir intervenir dans ces Journées. Dans le rêve, la censure est à l’œuvre, qui recouvre ce désir d’un affect morose, le dégoût – ou plutôt de son signifiant, car l’affect lui-même est absent.

Des perles aux cochons (1996)

Une autre association me vient, toujours dans un demi-sommeil : « Oui, je t’offrirai des gouttes de pluie, venues d’un pays où il ne pleut pas ». Je m’aperçois de mon erreur : dans la chanson de Jacques Brel, Ne me quitte pas, il est question non pas de gouttes mais de « perles » de pluie. Ceci me fait associer sur un rêve survenu presque quinze ans plus tôt, en 1996. C’est un des derniers rêves que j’ai faits en analyse, peu après m’être présentée à la procédure de la passe, pendant une courte période où j’étais retournée, de façon épisodique, chez mon analyste. En voici le contexte : dans l’état de désinhibition consécutif à la passe, je réussis à boucler en un temps record un exposé que je m’étais engagée à faire. Mais je ne peux pas en communiquer le texte, comme il se doit, à la collègue qui m’a invitée car j’ai des petits bouts de papier partout et je ne suis même pas arrivée à écrire mon introduction ! Ma collègue, irritée, m’interrompt d’abord à chaque phrase. Je viens quand même à bout de mon exposé, qui est très bien accueilli. La nuit suivante, je fais un rêve dont il ne reste aujourd’hui que cette trace dans mon souvenir : je porte un collier très près du cou, qui m’étrangle presque, fait de grosses perles de bois. Et, toujours dans le rêve, j’entre dans une colère phénoménale et inexpliquée. Au réveil, je me sens d’excellente humeur et me fais la réflexion que c’est une solution très avantageuse, qui n’a causé aucun dégât dans la réalité. Assez perplexe néanmoins, je relate ce rêve à l’analyste, qui interprète ainsi : « vous pensez avoir donné des perles aux cochons ! » Sur le moment, je me rebiffe : ces perles étaient faites d’un matériau assez rustique, il me semble, pour qu’il ne me soupçonne pas de me pousser du col. Le signifiant « bois » me renvoie plutôt à mon père – psychotique, trop porté sur la boisson et très coléreux. Je m’avise maintenant qu’il peut s’agir aussi de la « langue de bois » qui parasitait encore un peu mon exposé. Quoi qu’il en soit, il a été apprécié. Alors de quels « cochons » peut-il bien s’agir ? Contre qui suis-je en colère, au fait ? Pas vraiment contre ma collègue. Et j’espère qu’elle ne m’en voudra pas non plus de rappeler cet incident. Je comprends bien plus tard que son comportement a reproduit celui de mon analyste, dans une occurrence assez semblable. Elle, qui m’avait invitée, ne me laisse pas parler. Lui, m’avait demandé, quelque temps auparavant, de préparer un bref exposé pour le présenter à son cours. Cela m’impressionne, je me fais violence pour accepter. Quand, pour finir, je lui remets le texte, voilà qu’il n’en veut plus et m’invite à le publier. Je me sens bernée, je suis furieuse ! Mais si je balaye ainsi son interprétation, c’est que le mot « perle » ne me renvoie pas le moins du monde aux « cochons ». Je m’avise après coup qu’il en va autrement en latin ! Margarita, les perles, évoquent bien sûr porcos, les cochons : Margarita ante porcos, c’est-à-dire « des perles aux cochons », sentence chère au professeur de lettres que j’ai eu en classe de première. L’interprétation rejetée est donc juste et me rappelle une personne qui a compté dans ma vie et qui, à un moment critique, a sans doute sauvé mes études grâce au transfert qu’elle a suscité. Jusque là, j’avais fait presque toute ma scolarité par correspondance. Cette privation d’école, avec un petit « e », a sans doute eu sa part dans l’attraction exercée sur moi par l’École avec un grand « É ».

La boucle d’oreille (1984)

Mes associations se poursuivent avec le souvenir d’un autre rêve, datant de 1984. C’est un rêve très long, complexe, que je fais au bout de sept ans d’analyse, et avant que plusieurs événements concomitants ne me précipitent dans une longue période de réaction thérapeutique négative. Je lui donne un titre, « le rêve de la boucle d’oreille ». Encore influencée par un travail récent sur L’interprétation des rêves, je passe tout l’été à m’efforcer de l’élucider par écrit. La seule trace précise qui en subsiste est celle-ci : j’accepte de céder une des précieuses boucles d’oreilles mais j’entends garder la deuxième pour moi. Le désir de passe qui pointait, avec cette seconde boucle, reste complètement inaperçu sur le moment. Ce qui se manifeste clairement, par l’insistance du signifiant « oreille », est mon désir de devenir analyste. Sachant le rêve écrit, l’analyste me demande de le lui apporter. Je commence par refuser, horrifiée. À l’époque, je ne supporte pas d’être lue. Mais, puisqu’il en va du progrès de la cure, je cède. Je tape soigneusement le texte à la machine et l’apporte en séance. L’analyste le prend négligemment, sans un mot, sans un regard. Colère muette de ma part. Comme dans le rêve précédent, on retrouve ces deux éléments : un texte, de la colère, ce qui marque bien la signification d’objet précieux qu’a pour moi la chose écrite. A peine rentrée chez moi, après avoir éprouvé la tentation passagère de me jeter par la fenêtre, je mets à la poubelle toutes les notes que j’avais prises au fil des séances « pour qu’il ne puisse plus jamais me demander ça ». Je suis ensuite dans le deuil de ces notes qui représentent non seulement l’analyse mais quelque chose comme un enfant. Plus tard, je reviens sur l’incident :

« Pourquoi me l’avoir pris, puisque vous n’en avez rien fait ?

Et qui vous dit que je n’en ai rien fait ?

Vous ne m’en avez rien dit !

C’est vrai », reconnaît-il.

Que pouvait-il en faire, à défaut de m’en dire quelque chose ? Peut-être avait-il entendu le désir exprimé, et s’employait-il à faire de moi une analyste ? C’est l’interprétation optimiste que j’en fis.

Charmer l’oreille (1996)

Le troisième rêve sur lequel j’associe date du moment où je suis en plein travail de passe. La trace de ce rêve est encore plus ténue, elle se réduit à une phrase : « Il faudrait charmer l’oreille ». J’en ferai état dans mon témoignage. Au moment de nous séparer, l’une des passeuses me dit qu’une chose au moins est claire, mon désir de faire entendre ma voix dans l’École. A l’issue de la procédure, j’y serai admise comme membre. Mais, effet inattendu, juste après que cette phrase a surgi entre rêve et fantasme, au matin je me retrouve aphone. En outre, à partir de ce moment, ma voix change. Jusque là, elle était très claire, « une voix de petite fille », me disait-on. Mes étudiants en phonétique appréciaient mes enregistrements. J’en étais flattée. Et voilà que, soudain, elle est désagréablement éraillée. Rien de grave, pas de nodule sur les cordes vocales, mais cette voix m’est restée. Je m’en accommode, comme du fait qu’il me soit venu des rides. Je l’évoque plutôt à titre de symptôme, quand je rencontre un nouvel ORL. Ceci se produit assez régulièrement car d’autres symptômes, trop bénins pour être pris au sérieux par le corps médical, m’empoisonnent considérablement la vie. Est-il supportable de tousser à l’Opéra ? Périodiquement, je retourne donc consulter.

Un enterrement (1996)

La dernière association, enfin, n’est pas un rêve mais un scénario fantasmatique, en l’occurrence un film. J’avais d’abord, et sans réfléchir, intitulé cet exposé Trois rêves de transfert et un rêve de passe, ce qui m’évoque le film Quatre mariages et un enterrement. Même si je ne garde pas ce titre, il fait partie des pensées du rêve. De quel enterrement s’agit-il ? Serait-ce celui de mon analyse ? Ma cure, si bien commencée, n’est pas sans rappeler, tout compte fait, un livre amusant dû à la plume d’un de nos collègues, Comment rater sa psychanalyse. Cependant même si, malgré tant d’années d’analyse, je n’ai pas mené celle-ci jusqu’à son terme, la passe a des effets incontestablement positifs. Ça retombe un peu par la suite – la névrose se reconstruit en partie – mais les bénéfices restent immenses. La passe a pour conséquence mon admission dans l’École, qui devrait m’ouvrir de nouvelles perspectives. L’enterrement renvoie aussi à la mort de ma mère, survenue – dernier mauvais tour qu’elle me joue – à un moment où je me sens bien et où devrait s’ouvrir pour moi une période féconde. Surviennent alors, en cascade, la crise de l’École, dont je suis très affectée – moi qui viens juste d’y entrer ! – et, dans mon travail, des problèmes institutionnels qui prennent une tournure aigüe. Il se trouve donc, à la suite de circonstances où la contingence a sa part, qu’au lieu de prendre enfin ma place au sein de l’École, je me tiens paradoxalement encore plus en retrait.

Une formation de l’inconscient

Cet exposé, que je tiens pour une formation de l’inconscient à part entière, s’est donc écrit sous la pression de ce désir inattendu de venir témoigner aux Journées. Formation de l’inconscient bricolée avec des bribes de rêves ressurgies du passé, c’est-à-dire avec des signifiants de mon histoire. Ces fragments s’articulent entre eux à partir du signifiant « goutte » et, principalement, autour de l’objet voix. Différentes modalités du se faire (ou pas) entendre se déclinent dans trois rêves. Je crois pouvoir y repérer les trois temps de la pulsion. La « goutte » vient, me semble-t-il, à la même place que la perle et que la boucle, sans en avoir l’éclat phallique. « Goutte » est un signifiant inédit en ce qui me concerne, vide, sans coloration propre. Goutte de pluie, goutte de lait, goutte de sang… Goutte à goutte qui maintient le malade en vie. Rilke parle même, à propos d’Ibsen, du « léger obscurcissement d’une goutte de désir », qu’il range parmi « ces choses à peine mesurables » dont celui-ci fait la matière de son théâtre. Ce peut être un rien, comme quand on dit « je n’y vois goutte ». Quant à la matière sonore, la syllabe « goutte » est grave, elle ne chante pas, contrairement à la syllabe « or », qui n’est pas sans rapport avec le signifiant ORL.

J’en étais restée là, sur une question, quand, mes pas m’ayant menée par hasard dans le nord de Paris, un panneau me saute aux yeux, indiquant la Goutte d’or. Et dire que je n’avais pas pensé à faire ce rapprochement ! Il s’agit donc d’une opération de métaphore, et l’on retrouve l’or sous la goutte qui s’y était substituée. Sur le versant de la signification, mentionnons que je suis née à Oran, en Algérie. Au-delà de cette évidence première, le « o » de « or » me ramène au signifiant du transfert, « bandeau », présent dans ce qui fut, je crois, mon premier rêve en analyse. Un avatar de ce signifiant ressurgit dans la passe, au terme d’une nuit d’angoisse. Le mot est différent mais les deux voyelles restent inchangées, si ce n’est que le « o » fermé de « bandeau » est remplacé par la syllabe « or », soit un « o » ouvert du fait de la présence d’une consonne finale. Comme la petite fille dont parle Lacan, qui ne voulait pourtant pas passer sa vie entre O et O’, j’aurai, dans une certaine mesure, passé la mienne entre « o » et « or », et retour. En effet, si l’on dépouille le « ou » de « goutte » de son habillage consonantique, il apparaît que la voyelle « ou » est très proche du « o » fermé, fermée aussi mais postérieure et plus grave. De même que ma voix claire, celle qui pouvait charmer, s’est assourdie. Lors de la passe, encore, j’ai connu un moment où les mots écrits sur la page se sont mis à chanter, où le sens ne m’importait plus. Je n’étais sensible qu’à la beauté des sons et, du même coup, le texte me paraissait faire sens sans effort, de façon lumineuse et éphémère. Je me suis rendu compte alors de ma prédilection pour le « o » en tant que pure sonorité – surtout pour le « o » ouvert – et non pas seulement, comme je le croyais, pour certains mots comportant cette syllabe. Le « o » de mon prénom, Dominique, se situe entre les deux, un « o » moyen, comme disent les phonéticiens.

Ainsi, j’ai oscillé entre « o » et « or », pour arriver à « ou », voyelle pour laquelle je n’éprouve, en revanche, aucun goût particulier. « C’est maigre », dit l’un des personnages du roman de Beckett Mercier et Camier. Je pourrais reprendre ce mot à mon compte, en conclusion de mon roman familial.

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Tout de rien

Olga  Alexandrova

Comment écrire ce qui s’annule aussitôt par cette écriture elle-même ? Comment écrire son mode de jouir s’il n’est rien d’autre que l’écrire ? Ce n’était même pas une question, mais un cercle vicieux. Par son écriture, ce texte est devenu pour elle la lutte à outrance avec soi-même, avec sa résistance. Depuis toujours l’écriture fut son meilleur, le plus fiable et fidèle, procédé défensif contre la castration, un endroit où elle ne sentait jamais de manque, où elle savait exprimer tout, atteindre l’exactitude absolue, le plaisir presque physique ; où ni le non-sens existentiel, ni l’angoisse ne l’accompagnaient pas. Vous imaginez-vous quel protêt a produit en elle seule la tentative d’attenter à ce sacré, qu’était le réel de l’écrire ?

L’écriture, restant un mode à récupérer par sa perfection la jouissance et le phallus, s’est proposée de porter ici sur le Tout, aux fins de dévoiler sa nature du fantasme, dire le manque, faire vaciller l’efficacité de l’écriture-défense. Elle écrivait le pas-tout mais les mots lui apportaient la complétude, sans son gré. Ils adoucissaient, voire supprimaient la perte, comme autrefois ils l’avaient fait pour une petite fille qu’elle avait été. Elle essayait de dénoncer le manque, mais derrière ce dit le dire l’annulait en la rendant à nouveau “full”.

À ses cinq ans, cette question a déjà surgi, cruciale, troublante, palpitante. Elle surgit pour ne plus la laisser en paix lors des années d’études, de recherches, d’échecs et réussites. « Comment peut-on comprendre le tout si on ne comprend pas chaque un qui le compose ? »

« Comment comprendre toute la phrase s’il y a un mot que je ne connais pas ?… », c’est ainsi qu’elle martyrisa sans cesse ses parents qui lui livraient tantôt les dictionnaires, tantôt leurs propres explications, tantôt s’armaient contre ses harcèlements en disant qu’un seul mot n’importait pas pour saisir le sens, tantôt cachaient ses livres.

Elle lisait les dictionnaires, mais chaque définition contenait à nouveau un mot inconnu et ainsi à l’infini. Elle croyait malgré tout qu’en réunissant tous les uns, elle comprendrait l’ensemble. Elle le croyait plus tard en étudiant la philosophie, sans plus de scrupule qu’à ces lointains cinq ans, elle lisait son bouquin préféré avec deux personnages contraires – Znaïka et Nieznaïka, néologismes enfantins russes qui signifiaient « celui qui sait tout » et « celui qui ne sait rien ».

Avec le temps qui passait, ce questionnement se traduisait de plusieurs façons dont la plus vitale concernait l’unicité de l’existence. Un être, peut-il être Tout s’il y a un Un, en lui, qui lui manque ? Comme les phrases de « Nieznaïka » lui semblaient n’être rien, être un non-sens, une absurdité, si elle n’y comprenait que neuf mots sur dix ; un seul 4/5 lors de l’année scolaire s’équivalait pour elle à l’échec définitif ; ou encore, plus tard, ne pas incarner l’exception se traduisait par être le déchet et par l’état mélancolique. « Suis-je rien ou suis-je tout ? », voici à quoi son Autre se tut en la poussant au désespoir ou à la fougue. Et s’il avait répondu, aurait-elle eu lieu de le croire ?…

Durant des années, la réponse venait de son père. Le projet paternel lui livrait une identification obsessionnelle solide : d’être parfaite, sachant tout, réussir, gagner. C’est par la réélisation de son fantasme à lui qu’elle croyait inconsciemment obtenir le sens et l’importance de son être, être aimée, digne, utile. Cela tenait jusqu’en terminale, après ça échoua. Elle était irréprochable face à son Autre gavé, mais elle se sentait un élément insignifiant, un chaînon remplaçable, un objet dénué de sens, elle était idéale mais elle se sentait foncièrement morte, idéale et morte.

À son point d’incandescence, cette obsession a déclenché la guerre. Comment a-t-elle pu gagner ? La réponse parut logique, toujours obsessionnelle : il fallait détruire l’Autre, priver le père de son être qu’elle incarnait pour lui, le déposséder de l’objet phallique, dont il s’enorgueillit. C’est qu’il était elle-même, cet objet, qu’il fallait donc se tuer.

Ici, l’Autre a reconnu la défaite. Pour la première fois son père s’est montré décontenancé, muet, perdu, sans la réponse habituelle obsessionnelle. Il s’est montré le rien, détruit, pitoyable. Il fallait le sauver, le reconstruire, il fallait faire du rien un objet précieux.

Ce rien précieux a eu dans la suite une série des significations, des noms du rien, des noms du Père barré par sa capitulation face à son appel à la mort. Qu’éloquent était son choix des doctrines philosophiques ; ce qui controverse le savoir et les prétentions scientistes à accéder au véritable, ce qui englobe le tout par le rien : le solipsisme, l’agnosticisme, le scepticisme, et, pour comble, Lacan. C’est l’insu qui règne, le non-savoir, le pas-tout, le voilé, l’inaccessible, l’insupportable, l’inexistant. Le rien a pris une valeur extrêmement importante, pour sauver le Père, annuler sa chute. C’est là qu’enfin elle s’est heurtée à cette solution sublime hystérique de se débrouiller avec la castration : tourner le manque, le vide, le rien en objet précieux. Néanmoins, son désir restait toujours au fond obsessionnel – capter le tout par le néant – , tandis qu’à l’extérieur il s’est montré bien hystérique.

Un rêve illustrait le déploiement de sa position hystérique à propos de cette question qui faisait toujours la substantifique moelle de son Sujet : être toute, être exception, être phallus de l’Autre.

Une saga sur quatre raisons.

Voici ce qu’elle raconte à l’analyste lors de la deuxième année de cure en France. « J’ai vu un rêve. Comme si je viens à la séance et je raconte : « J’ai réfléchi beaucoup sur la phrase que vous m’aviez dite : je ne suis pas comme tout le monde. Cela peut signifier autant !… Je vais vous exposer mes variantes dans l’ordre d’importance croissante :

1. La première, c’est comme si vous vous moquiez légèrement de moi, c’est ironique mais badin ce que vous dites : « Ben, oui, vous n’êtes point comme tout le monde, vous m’avez déjà éreinté » ;

2. D’après la deuxième variante, vous constatez le fait que tous ne sont pas « comme tout le monde ». Chacun est particulier, donc « vous n’êtes pas comme tout le monde car cela est impossible ». Cette apparence de courtoisie ne me plaît pas, car c’est la même chose que de dire le contraire : « Comme tout le monde, vous n’êtes pas comme tout le monde ».

3. Ici, quand il faut passer à une troisième variante, elle s’avère oubliée. Je réfléchis, « bon, si j’ai oublié, je la laisserai pour la quatrième, je les changerai de places », mais à la fin je la laisse non-dite, comme s’il n’y en avait pas eu.

« La troisème variante, je dis, c’est pratiquement la déclaration d’amour. Puis-je espérer que c’est cette trosième variante essentielle que vous supposiez ? Elle est tellement cruciale pour moi, cette phrase, que seule l’énonciation signifie déjà la déclaration d’amour ». Au fur et à mesure de mon énonciation, vous vous retrouvez sur une place à côté qui prolonge la même banquette où je suis assise. A ce moment, quand je m’aperçois être si proche de vous qu’on se touche, je ressens soudain que la psychanalyse se finit, je le ressens fort ! C’est comme avec ces mots qu’elle cherche un par un pour en composer, saisir, accéder au Tout, ici, la psychanalyse se finit pour elle, quand elle arrive à un tout dernier mot, qu’est l’amour.

À ce moment juste où la psychanalyse se finit par le savoir que vous m’aimez, je chute dans un abîme de déception. Je dis : « Je veux que vous soyez mon psychanalyste », vous répondez qu’ici il ne s’agit de choix. Comme si je veux que vous m’aimiez mais votre amour n’est que perte, je perds autant… même tout. Cette privation me rend déchet, rien, comme tout le monde, elle est insupportable, elle provoque la tristesse, la peur et le réveil.

4. Elle se réveille en se souvenant d’une quatrième raison, oubliée, déplacée, non-dite. « C’était, rit-elle lors de la séance, l’objet a, la quatrième signification. Vous n’êtes pas comme tout le monde, il fallait que cette déclaration ne fût ni l’ironie, ni la constatation, ni même l’amour, mais la vérité, que vous le croyiez véritable. Voilà ce que j’ai désiré ».

Par cette quatrième raison elle est donc ce que l’Autre ne peut pas aimer en elle car cela lui échappe, car elle ne le lui offre pas. Elle est ce, dont il est voué à constater pour lui l’absence, ce qu’il n’a pas à posséder. Elle est ce qui reste oublié dans le rêve derrière ce que l’on aime.

Quant à cet Autre qui la reçoit silencieusement dans son étreinte clinique, il y est extrêmement à propos. De son amour à lui en tant que Sujet, elle se refuse, elle regrette de l’avoir prié. Moyennant le discours hystérique – ou d’ailleurs son semblant – , elle cherche à obtenir le tout, ni par les mauvais Uns, ni par les fausses amours et niaises déclarations, mais par l’ex-sistence de ce qu’elle est.

Comment apprivoiser l’Autre ? Voiler par la Demande ce que l’on désire de sa part. Elle demande l’amour, elle le provoque, pour ne lui jamais avouer qu’elle ne le désire pas car il y a une 4ème raison qui lui est inaccessible, grâce à laquelle elle existe comme toute. Certes, cela aurait dépeint une position hystérique ; pourtant tout ce qui reluit n’est pas or.

Peut-elle avoir le désir hystérique qui est de ne pas satisfaire, ne pas donner ? Comment le désirer ? Comment désirer cacher ce qu l’on n’a pas quand de son absence on est conscient ? Comment se construit et se maintient le désir hystérique ? Comment s’hystérise une obsession ? C’est un mystère pour elle, pour moi…

Pour clôturer.

Il ne nous reste qu’un pas. Pourquoi « psychanalyste » ? Il y a eu deux « murs porteurs » de ce désir : premièrement, maintenir la castration de l’Autre à travers la révolte qu’elle adresse à son psychanalyste ; et deuxièmement, lorsqu’elle reçoit comme clinicienne, incarner cet Autre barré, non-savant, le père qui ne sait pas. Détruire et restituer.

Les contestations perpétuelles à propos du cadre analytique est encore un procédé obsessionnel. Elles représentaient sa désobéissance à la loi de l’Autre supposé jouisseur. Cela la mène au-delà du rapport à son père et de l’intention d’échapper au projet paternel, vers les horizons sociaux dans lesquels elle était née comme un objet du pouvoir trop capricieux, comme une fonction de ce système de lubie soviétique. Elle était née quand sa famille fut confrontée à tant de questions restant sans réponse dans un silence de qui-vive, de suspicion, d’angoisse. Il n’y avait pour elle qu’une place : être celle qui répondrait à tout, aux pertes, aux morts.

Elle veut donner tout. C’est ici son désir obsessionnel, qui est le signifiant de la place qu’elle occupe dans le complexe familial. Elle sait que l’autre ne le demande pas ; l’autre n’aime pas ça. Il veut qu’elle ne lui donne pas tout. Comment alors faire ? Comment donner ce qu’elle ne désire pas donner – le pas-tout ? La fonction d’analyste est un compromis : pas-tout comme le verso du tout. Elle ne sait pas pour ses patients, elle ne les laisse même pas la supposer savoir, c’est ici que sa place est trop dite, trop univoque, trop honnête.

Et c’est là, dans sa pratique, où elle trouva la solution pour ex-sister à un symptôme familial. Cela se traduit si clairement dans sa manière à recevoir. À l’opposé de l’Autre avide de son existence, de son savoir, de ses mots, l’analysant ne cherche pas les mêmes délices. Pour lui, elle est le rien, mais rien précieux, le rien pas-tout, qui n’est ni néant, ni mort. Elle ne connaît pas de réponses, enfin, elle y a droit, elle est ici pour cela – ne pas savoir, respirer grâce à cet autre, son patient, qui, là, ignore et sait lui-même. Elle aime son besoin d’insu qu’elle a pour lui, malgré qu’elle-même dénie l’insu, malgré que, lui, la croit savoir.

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Effets subjectifs du contrôle.

Anne-Marie Landivaux

Naître analyste ? Avec l’équivoque que ce terme comporte, c’est actuellement par l’expérience du contrôle que je peux tenter d’en témoigner. C’est un rêve de désir qui cette fois inaugure ma demande : je rêve que « je conseille à une jeune femme, un peu timide et effacée, de passer de la lecture des textes à l’écriture » et qui plus est « à une écriture personnelle ». Cette jeune femme, c’est aussi moi-même, bien que ce qualificatif ne me convienne plus très bien, mais le désir n’a pas d’âge.

Ma deuxième analyse, qui s’est achevée en 1996 d’un commun accord, a commencé par un travail de contrôle. Actuellement, au-delà du contrôle de la pratique des cas, le contrôle m’interroge sur ma relation à la psychanalyse, qui est celle que j’entretiens avec mon propre inconscient.

En 2006, deux ans après le début de mon contrôle, je rêve que je prépare un exposé sur mon expérience d’analysante. Je me trouve dans un lieu assez vaste, avec de nombreux couloirs donnant tantôt sur des salles vides, tantôt sur des pièces où se tiennent des conversations animées, qui me font éprouver une intense impression de vie. L’endroit est agréable. Il pourrait s’agir du local de l’Ecole. J’écris mon texte et le glisse dans un journal, un quotidien, en attendant l’heure de la réunion au cours de laquelle je dois intervenir. Je me dis qu’il s’agit d’une « pré-passe ». Ce terme est curieux. Je conserve mes brouillons que je range dans un classeur et je mets l’ensemble dans un cabas. Je gagne la salle où se trouvent les membres de l’Ecole qui ont organisé la soirée, ainsi que les auditeurs. Je me trouve placée au côté des organisateurs, dans une position nouvelle. N’étant pas en face d’eux, je ne peux les voir, le regard est élidé. Quand je suis invitée à parler, je ne retrouve plus mon texte, qui a disparu, je n’ai plus que mes brouillons. L’assistance attend patiemment. Si je parle, je devrai le faire sans l’appui de l’écrit : comment vais-je transmettre sans tomber dans l’historiette, privée que je suis du texte qui m’avait permis de m’en décoller ? Je décide de prendre le risque de parler. Au même moment une AE vient me dire que si je « n’expose pas », je ne serai pas payée par Jacques-Alain Miller. Je me réveille.

Voici les éléments que je peux décrypter de ce rêve :

1 – Le terme de « pré-passe » me renvoie bien sûr à la question de la passe, question que j’ai commencé à me poser à la fin de mon analyse. Ce terme évoque aussi les études d’une classe de « prépa », comme porte d’entrée à la grande Ecole. Il vient mettre en évidence que ce ne sont pas les nombreux séminaires que j’ai pu suivre à l’Ecole qui ont à voir avec le désir de l’analyste, avec le « naître analyste », avec co-naître, soit naître avec et qui marque la disjonction entre la connaissance et le savoir. Le cabas est un signifiant qui fait équivoque et qui vient indiquer mon désir de mettre bas mon cas, d’accoucher de mon K (écrit comme une lettre), ce qui me conduit à en faire la théorie. Dans ma pratique, je m’autorise de ma propre analyse et non des diplômes que je peux avoir en poche. Je m’autorise aussi de « quelques autres » ; ceux qui ont un désir de transmission et ceux qui furent mes différents contrôleurs.

2 – Dans mon rêve, l’AE est une femme. Elle porte un nom étranger, Rose-Paule Vinciguerra qui, en français, prête à équivoque. En particulier, ce nom vient condenser la rude bataille qu’a été mon analyse avec l’opacité du langage. De plus, cette AE a évoqué à travers son témoignage de passe quelque chose de singulier quant à sa position de femme. Elle m’enjoint de faire entendre ma voix et de céder l’objet en faisant cet exposé, pour en finir avec mon inhibition et changer de position par rapport à l’Ecole. Céder sur l’objet, c’est faire entendre ma voix, celle qui est insérée dans l’écrit.

3 – Je me réveille sur un réel, sidérée par l’idée d’avoir à être payée par Jacques-Alain Miller, alors qu’il paie lui-même de sa personne, lorsqu’il s’expose dans son enseignement. Il s’y met en position analysante, ouvrant ainsi à sa division. Je me réveille là où l’Autre ne répond pas. Le semblant « faire payer JA Miller pour ma contribution » tombe. Le désir du rêve serait de passer à cela : payer de ma personne en intervenant dans l’Ecole, ce qui est ce que l’Ecole attend des analystes, chacun de là où il en est. Ce que je n’ai pas trouvé dans le silence de l’Autre m’enjoint de faire le chemin seule.

4 – Le lien entre parole et paiement me renvoie à un conte de mon enfance, où chaque mot prononcé se transformait en une pièce d’or. Or, une collègue m’avait dit, il y a bien longtemps : « Toi, on peut te parler librement car on sait que tu ne répèteras rien. Tu es comme une tombe ». Mortification que j’avais alors reçue comme un compliment. D’ailleurs, je m’étais approprié l’adage « la parole est d’argent et le silence est d’or ». La parole et le silence ne vont pas l’un sans l’autre, mais il est peut-être temps d’accepter de prendre la parole, sans craindre de rompre la loi du silence que m’avait transmise mes parents. Ils avaient connu, l’un, le régime soviétique, puis, les deux, le nazisme. La résistance a vu disparaître deux membres de leur famille à cause d’un mot de trop.

5 – Ce rêve me met sur la voie de prendre la parole sans l’appui de l’écrit, à partir de ce que j’ai intériorisé de mes connaissances théoriques, et de le dire avec mes propres mots. Dès 2006,  j’étais donc déjà prête à risquer ma voix devant l’Ecole.

6 – Un remaniement pulsionnel se produit dans ce rêve, élision du regard, mise en jeu de la voix. La perte du texte fait que je décide de me faire entendre sans filet, si je puis dire. Mais cet écrit, dont je vais me passer, je m’appuie néanmoins sur lui. Je le loge dans le quotidien, le journal qui apparaît dans mon rêve. Ma cure achevée, le savoir inconscient, le savoir sur ma jouissance, le « comment y faire avec » continuent à s’élaborer au jour le jour.

Moïse et Isaac

Ce qui me paralysait encore dans le champ du savoir et m’empêchait de trouver pleinement ma place dans la communauté analytique va se réduire grâce au travail de contrôle. Deux occurrences me semblent à cet égard particulièrement significatives.

Lors d’une séance de contrôle, je parle d’une patiente qui vient d’arrêter son analyse sur un affect de colère. Je me suis permis de lui fixer une séance supplémentaire, en remplacement de celle qu’elle allait manquer du fait des vacances scolaires, et elle ne le supporte pas. Mon contrôleur me demande pourquoi, alors que je m’étais tenue jusque là dans une position très souple à l’égard de cette patiente, ai-je eu tout à coup l’imprudence de vouloir modifier le calendrier des séances ? J’ai un moment de vacillation et associe aussitôt avec ce que m’avait dit Rosine Lefort, alors que j’approchais du terme de mon analyse et que je lui parlais aussi, à l’occasion, de mes patients. Elle m’avait affirmé un jour avec autorité « qu’une séance ne s’annule pas ». Bien des années plus tard, ma séance de contrôle fait interprétation de cet énoncé. Je m’aperçois que je l’ai repris à mon compte de façon trop dogmatique, en l’élevant au rang de principe. Je suis tombée dans le piège de vouloir appliquer à un sujet ce qui avait été opérant pour un autre. Mon contrôleur me dit alors : « Pourquoi continuer à faire comme Rosine Lefort au lieu de faire comme Anne-Marie Landivaux ? ». Et de me raccompagner en me contant cette petite parabole : « Isaac arrive devant l’ange, qui lui refuse l’entrée du paradis. – Pourquoi ne puis-je entrer ? J’ai pourtant fait tout ce qu’il fallait, j’ai bien étudié Moïse et la Torah. Et l’ange de lui répondre : – Justement, Moïse, on en a déjà un, maintenant il nous faut un Isaac ! ».

Cette scansion fait coupure avec un reste d’identification à mon analyste, fait tomber un savoir figé et m’ouvre à nouveau la voie de l’inventivité et de la surprise, qui est requise pour qu’un acte puisse surgir. Cette séance de contrôle me révèle aussi un clivage entre le savoir que j’ai sur la direction de la cure qui convient à cette patiente, lequel m’a guidé jusque là, et mon adhérence à un savoir constitué, qui me paralyse. Ce clivage me paraît homologue à celui que je faisais entre l’ACF et l’Ecole. Du côté de l’Ecole, je mettais l’élaboration théorique à laquelle je ne me sentais pas encore autorisée. Or la psychanalyse ne procède pas de l’identification à l’analyste, non plus qu’à la théorie. La psychanalyse est une et ce clivage entre l’ACF et l’Ecole n’a pas lieu d’être.

Plus tard, la lecture de ce texte dans la Torah m’apprendra qu’il rappelle radicalement l’inexistence de l’Autre, d’une garantie de l’Autre ; de même, l’analyste ne s’autorise que du savoir sur son rapport à la jouissance, savoir acquis au cours de son analyse et qui continue à s’appréhender au-delà.

« Je ne sais pas… »

Une séance de contrôle à propos d’une autre patiente m’amène, dans un contexte différent, à poursuivre mon élaboration personnelle. Cette jeune femme est en analyse depuis cinq ans, lorsque s’amorce un changement dans sa modalité de jouissance, ce qui la plonge dans un sentiment de vide. Sa position hystérique s’exacerbe alors : dans la détresse qu’elle ressent, elle fait appel de façon insistante à mon savoir et attend de moi « une formule magique » (ce sont ses termes) qui la sortirait de cet état insupportable. Doit-elle aller voir un psychiatre, prendre des médicaments, poursuivre la préparation du concours d’entrée dans une grande Ecole, s’occuper d’enfants comme sa tante ou encore faire un voyage autour du monde ?… Je ne réponds pas. Je l’invite seulement à continuer de faire sa propre expérience et à la mener jusqu’à son terme. Peu après, elle me demande non plus un conseil mais l’adresse d’un psychiatre, que je lui donne, et elle parvient à se recentrer sur la préparation de son concours. Mon contrôleur me fait valoir qu’elle a, je le cite, « rencontré là le désir de l’analyste, qui est désir de rien ».

Je fais un pas de plus. Ce fragment de cure, isolé comme paradigmatique par mon contrôleur, me pousse à des lectures et réflexions théoriques, qui, à ma surprise, me ramènent à un souvenir précis de mon parcours analytique. Ma cure n’était pas terminée mais je parlais à Rosine Lefort de certains de mes patients, quand  je me trouvais dans un trop grand embarras. Tout à coup, je me rends compte à quel point j’avais cherché à convoquer le savoir de l’Autre quand je me trouvais dans une impasse, en l’occurrence clinique. Quand c’était le cas, Rosine Lefort restait toujours silencieuse. En revanche, lorsque je risquais une élaboration, elle m’encourageait par ses interventions. Par rapport à ce savoir que je ne m’autorisais pas, je me souviens des coupures quasi systématiques que Rosine Lefort ne cessait d’opérer sur cette expression dont je ponctuais mes phrases : « Je ne sais pas… ». Elle m’avait ainsi progressivement délogée de ma position. Je m’étais mise moi-même au travail de la construction de mes cas. L’analysante ainsi délogée est poussée vers la prise de responsabilité dans la voie de son désir qui l’engage en acte auprès des patients mais aussi dans des prises de position politiques.

Cet aperçu soudain sur la position hystérique dans laquelle j’étais encore à l’époque fait surgir un autre souvenir de contrôle qui, maintenant, me fait sourire. J’étais toujours en analyse et il s’agissait de mon troisième contrôleur, chez qui je suis allée pendant sept ans. Un jour, celui-ci me fait remarquer à propos d’une de mes patientes qu’elle met en lumière un processus d’empêchement et que cela pourrait faire l’objet d’un article intéressant. Je lui réponds que je ne vois pas d’objection à ce qu’il s’en serve dans l’une de ses communications ! A ce moment-là, j’étais dans une position éminemment hystérique. Je cherchais encore et toujours, à mon insu, à mettre l’Autre au travail. Ce contrôleur ne s’y est pas prêté, mais il aura fallu un quatrième contrôle et quelques tours supplémentaires pour que je l’entende, et en vienne à m’exposer davantage moi-même. C’est-à-dire à m’affirmer dans la voie de cette écriture personnelle dont mon rêve initial exprimait le désir.

Il faut le temps de se faire à être analyste, ou à « naître analyste ». Ne pouvant moi-même appréhender cet « être », c’est, pour l’heure, grâce à mon contrôle que j’en authentifie le ratage. Cet entrelacement entre contrôle et analyse, ou entre analyse et contrôle, déjà expérimenté lors de ma cure avec Rosine Lefort pointe une singularité de mon parcours analytique et de mon rapport à la psychanalyse.

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Porte Maillot

Isabelle Chuniaud

« La vérité ne se supporte que d’un mi-dire »

D’un Autre à l’autre, Jacques Lacan

Permettez-moi d’apporter ma contribution aux prochaines Journées de l’E.C.F.  qui se tiendront cet été à  Rennes. Elle me semble illustrer, pour une part, le titre de ces Journées et elle me permet de rendre hommage à ceux qui se sont laissé lire. D’autre part, elle s’inscrit dans une  série, celle que formèrent les Journées d’automne à Paris, puis le Forum sur l’Evaluation  et enfin, le VII Congrès de l’A.M.P. Pour moi, l’un n’allait pas sans l’autre. Je voulais en savoir plus. Je voulais combler, ne serait-ce qu’un peu, ma curiosité et le vide abyssal contenu dans ces questions : Ai-je quelque chose en commun avec eux ? Comment ont-ils fait ? Comment ça se passe ailleurs ? Un seul lieu de rendez-vous : le Palais des Congrès, Porte Maillot, à Paris.

Tout a commencé par un  rêve, raconté dans la cure en septembre, la veille de mon  inscription aux Journées de l’E.C.F. La question de la fin de l’analyse me taraudait depuis un moment, deux ans déjà. Comment se démettre de son analyste, objet bout de corps ? « …objet petit a, je te mutile » dit Lacan.  Comment couper ? Est-ce que ma propre horreur de savoir cèderait le pas à un savoir nouveau ? Pour être tout à fait exacte, le rêve que j’ai appelé Porte Maillot, fut précédé d’un rêve érotique. Je suis Porte Maillot, au Palais des Congrès, à Paris. Je suis entourée de gens hilares. Sur l’avant-scène, il y a une marre de boue. Une demi-femme, coupée dans le sens de la longueur, nue et âgée s’y prélasse joyeusement. La boue se transforme en bain de jouvence. Une autre femme se tient à ses cotés. Femme d’âge mûr, nue également, debout, sorte de Vénus sortie des eaux. Tout le monde trouve cette scène normale et de bon aloi. Je me réveille.

L’analysante ne sera pas longue à identifier la figure de la première femme, double visage de l’analyste. Nu et défroqué, il ne porte plus l’habit. Reste un hic. L’analyste étant un  homme, qui était donc cette femme, « quand  confronté au signifiant primordial, le sujet vient pour la première fois en position de s’y assujettir » ? C’est un cri. Celui de la femme d’à côté, visage de nouveau-né, comme reste. Corps divisé d’une analyste, ancienne élève de Jacques Lacan, Eugénie Lemoine Luccioni. Ici, femme plus vivante que jamais. L’analysante l’avait entendue, il y a bien longtemps, dans le cadre universitaire, mais surtout, elle l’avait lue. L’histoire à l’envers, Pour une politique de la psychanalyse, paru aux éditions des Femmes,  dirigée par Antoinette Fouque, ce n’était pas rien ! Femmes, psychanalyse et politique liés. Que de signifiants importants mis bout à bout !  Ca lui avait parlé ! « Il suffit pourtant que le cri soit entendu pour que se constitue une chaine » écrit-elle. L’idée qu’il ne lui restait plus qu’à s’engager en politique était évident. Il faut dire que le signifiant politique avait une connotation particulière pour l’analysante. Enfant solitaire malgré la fratrie, elle avait compris dès la prime adolescence que son salut passerait par les autres de la collectivité, incarnés à ce moment là, par le groupe de  gauche qui dénonçait les injustices et les inégalités ; mais l’Autre se fit tellement féroce qu’elle se laissa emportée ; une névrose hystérique prit le trait particulier d’un fantasme d’exclusion. La psychanalyse dans la cité,  c’est la visée originelle portée par Sigmund Freud. Visée scientifique et politique que celle de la transmission d’un savoir inédit. C’est à ce prix et seulement à ce prix que la fin de l’analyse peut être abordée, « afin que le savoir () désigné de l’inconscient,[soit] ce qu’invente l’humus humain, pour sa pérennité d’une génération à l’autre ». Se déposséder d’un savoir, c’est faire passer ce savoir-fumier au rang de nouveau savoir afin qu’advienne un nouveau sujet. Aucun courage là-dedans. Cette histoire ne me raconte plus, pourrait dire l’analysante, je peux m’en séparer. Fin de l’histoire, début de l’hystoire.

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Un rêve qui change la donne.

Philippe Cousty

Trois séances peuvent être isolées dans cette cure commencée il y a longtemps. Trois séances qui dénouent des identifications, séparant de la jouissance, font apparaître la place que j’avais prise dans la relation au père et la jouissance qui s’y logeait, relancent l’ouverture de l’inconscient sur son versant Réel, permettent une lecture et un début de mise en ordre de la cure et signent pour moi à leurs conséquences l’ébauche du désir de l’analyste.

L’analyse fut décidée parce que la vie devenait impossible. J’annonçais que je voulais devenir psychothérapeute.

Dans cet énoncé se logeait aussi le nœud des raisons de mon analyse : atteindre un idéal par le savoir, celui d’une position où tout est à sa place, sans raté, un idéal mortifère et religieux. J’avais parié sur le grand soir et m’étais engagé dans le militantisme révolutionnaire mais peu à peu cette voie fut elle aussi contaminée et l’inhibition fut massive lorsque je dus assumer des responsabilités de direction. L’idéal petit à petit ne tint plus ma route.

Je rencontrai un premier analyste  pendant dix ans au moment où je devenais père. Je commençais une seconde analyste à la mort de cet analyste qui suivit de peu de temps celle de mon père. Si pendant longtemps mon analyse fut un poumon artificiel me permettant de continuer à vivre malgré tout, aucune révélation ne vint. Mon analyste ne cessait de me dire que non, je ne savais pas. Chaque fois cela ouvrait un vide, et je m’accrochais dans une lutte pour résister à ce qui de territoire inconnu venait s’ouvrir. Je m’acharnais à vouloir comprendre. Je parlais, parlais, incessamment, d’abord pour dévider, ensuite dans l’espoir de trouver Le mot… J’évitais l’association libre. Cela dura longtemps !

Je jouissais de faire consister le côté impératif du signifiant Chaque prélèvement que l’analyste faisait de mes signifiants, chaque coupure, chaque équivoque qui résonnait me plongeait dans une culpabilité et une angoisse insupportable. J’avais l’impression d’errer, aucune signification, aucun de mes efforts de penser pour construire en bon patient obéissant ne tenaient. Aucune advenue d’histoire chronologique où se serait logé l’évènement explicatif total ! Les trouvailles que j’apportais comme un précieux cadeau ne suscitaient pas d’amour en retour. Je ressortais en me disant que ce n’était pas ça. Encore ! Et l’angoisse et la culpabilité insistaient voire amplifiaient. L’agressivité aussi, suivie d‘excuses…ce fut un champ de bataille où la pulsion de mort et son allié le surmoi jouaient la partie dure. Ma vie était depuis ses débuts un drame dont je me plaignais, et cette cure était tout sauf une partie de plaisir !

Ça n’allait pas dans ma tête : plus je voulais comprendre, moins je comprenais, des oublis, un sentiment d’incapacité permanente à accéder au savoir, échec des études, et le corps était de la partie : vertiges, douleurs et inquiétudes multiples, une certaine tendance à me maltraiter, apparition d’une pathologie intestinale, PPS se manifestant par une lésion et des saignements, et des effets assez invalidants. Peu à peu des signifiants s’isolèrent : la lettre, celles que l’on écrit ou que l’on trace, des signifiants prélevés sur la série maternelle :

–       Porte : celle d’un souvenir écran où jeune enfant je suis un pot de chambre, au seuil de la porte de mes parents à attendre ; celle fermée de mon premier analyste – j’arrive à la séance, il est mort et je ne le savais pas – ; de ma mère enfant arrivant chez elle et trouvant la maison fermée et désertée ; porte du cabinet de l’analyste que je franchissais même sans y avoir été invité – je m’y jetais – ;

–       Alcool : signifiant majeur de la famille maternelle, marque de ma mère et de ses frères ;

–       Mort, blessures et trous, invalides, soin : signifiants accolés par la mère aux hommes en général lorsqu’elle parlait d’eux,

Et des signifiants prélevés dans la série paternelle : punition, autorité, école, travail, culture, savoir, maladie, vertiges, argent.

Les objets pulsionnels apparaissent :

Côté oral : « ne pas se faire bouffer » expression revenant souvent, évocations des reproches portés sur le fait d’avaler sans mâcher, jubilation parentale devant cet enfant dévorant et pourtant si maigre, bouche-trou, celle/celui du sujet qui engloutissait, celle de la mère décrite par le père comme un trou de par son rapport à l’alcool, celui qu’elle faisait sur les photos à l’endroit de son visage.

Côté anal : scène d’un trouble intestinal dans l’enfance, celle du PPS, oubli, effacements, intérêt pour les traces, marques, l’écriture, ruminations mentales, angoisse de se voir dans les clochards et plus généralement les personnes « dépravées » : « je m’emmerde » venait commenter ma vie.

Regard et voix y menaient aussi la danse : regard de l’analyste derrière moi, regards supposés des gens au sortir de la séance, regards évoqués à travers les scènes de fenêtre où l’on regarde, que l’on voit, d’où l’on est vu.

Voix percutante à travers les signifiants, évoquée à propos du père et des interdits et autres leçons de morale entendues dans l’enfance, voix de la colère, voix qui figeait impérativement, et qui détachée du texte me rendait absent à ce qui se disait. Le caractère de répétition vint peu à peu à se saisir : durant toute ma scolarité j’avais été en retrait, en quasi échec, arrêtant mes études de psycho pour devenir infirmier psy, n’arrivant jamais à satisfaire un père pour qui le savoir se déclinait en proverbes et ce que je qualifiais de sentences, une pour chaque situation, sans saisir que s’énonçait là quelque chose de l’ordre d’un jugement de ce père, que je ne pouvais pensé-je satisfaire que diminué. Je reprenais aussi sans le savoir le chemin de ma mère qui se présentait comme ignorante, n’ayant jamais fait d’études, et j’étais pris dans une dette du père : sa mère à qui on avait refusé qu’elle devienne institutrice l’avait forcé à le devenir lorsqu’elle se rendit compte que l’argent qu’elle lui donnait pour aller faire des études servait aussi à aller courir les filles.

Mais je repris dix-sept ans après le début de ma cure ces études interrompues, encouragé par un simple « pourquoi pas ? ». Je m’installais et trouvais une place de psychologue dans un ITEP, non sans avoir repéré que l’école comme lieu du savoir avait été la scène où le signe de mon mal être avait trouvé son terrain d’expression. L’angoisse s’y logea.

Je reproduisais ce qui se passait dans ma cure : la volonté de comprendre, de donner du sens, j’étais perdu, affolé, traversé par le sentiment de l’échec, de l’incapacité, un vécu dépressif. Pas mon analyste, ni mon contrôleur qui recevait le témoignage de mon travail.

Cette reprise de mon choix d’étude puis l’exercice de cette profession, indiquait pourtant que quelque chose avait été coupé dans la répétition, non pas de l’histoire, mais de la jouissance, je ne le sus que plus tard au point de bascule qui s’opéra dans la cure et qui se décline sur trois séances espacées dans le temps.

Première séance : une scène très souvent évoquée, celle de ma naissance, je suis le dernier, quatrième enfant venant après trois filles espérées garçons. Le médecin annonce à mon père par la fenêtre que c’est un garçon, et mon père répond : « Oui mais c’est encore une bouche à nourrir. » Ce jour-là l’analyste « rejoue » le texte joyeusement : « Cousty c’est un garçon » !

Détachement de l’objet oral inclus dans la jouissance de l’Autre, mise en évidence du désir déçu mais toujours là qui préexistait à ma naissance : Ce fut un choc, et une bouffée d’air, l’intervention de l’analyste venait faire séparation là où la phrase attribuée à mon père et dont je jouissais me maintenait dans la plainte. J’ai su que j‘y étais pour quelque chose : j’étais l’auteur du drame dont je me plaignais.

Deuxième séance : tel le scalpel du chirurgien,  s’opéra une coupure dans la substance de mes mots. Peu avant de mourir mon père me dit « Vale », porte toi bien en latin et l’analyste reprit ce signifiant : j’entendis valet ! Je lus la couleur de la carte que j’avais mise en jeu dans les signifiants de mon histoire, ce mot reçu comme une gifle me renvoyait à une autre, bien réelle donnée par le père, enseignant, pendant son étude du soir. La violence de la gifle me dépassa. J’en fus sonné mais aussi saisi.

Je fus interdit d’étude et mon père me renvoya à ma mère. Rencontrer le père fut un point d’arrêt, mais j’entrais en difficultés scolaires. Cet évènement fut point de fixation à un amour pour le père et un appel incessant vers lui : devenir son objet aimé en prenant un trait de ma mère : faire l’imbécile et être en difficulté scolaire. Mais aussi point de rencontre avec l’image d’une jouissance à lui-même ignoré où s’inscrivit pour moi effet de sidération… et jouissance de la gifle.

Celle-ci s’associa à une autre jouissance, à cette même époque, celle d’un trouble intestinal. Je dus un jour quitter la classe en urgence  pris par des douleurs au ventre et je rencontrai alors l’impuissance de mon père appelant en vain ma mère au secours. La scène est toujours restée avec un blanc, image effacée du brusque désordre de l’organe, un trou venait à la place du souvenir. Signifiant et pulsion se nouaient à travers cet évènement corporel. La letter virant au litter ?

La levée de l’identification produisit un allègement de l’angoisse et un abandon de la course incessante au sens. Derrière l’impératif le signifiant valet me nommait en direct : père, je suis ton valet…de cœur. Un « sauver le père » et l’amour pour le père s’en trouvèrent désamorcés. Il faudra quelques années pour que se déplient une chaine de signifiants enserrée dans l’équivoque vale/valet.

Valet : référence à la grand-mère paternelle, (ma) marraine…, patronne d’un hôtel où elle régnait sur ses employés.

Ce signifiant convoque à une place d’impuissance face au maître apparaissant dans la série des mères, celle du père à laquelle celui-ci fut toujours soumis, mère du sujet qui par sa satisfaction pulsionnelle orale mit barre sur le père et son savoir. Amour pour le père donc et surmoi féminisé.

Valet renvoie aussi au personnage malmené qui reçoit des coups de bâtons, ouvrant à « un enfant est battu ». Voie d’identification au père impuissant aussi, celui-ci n’avait-il pas dit qu’à trente ans sa mère avait encore voulu le gifler ?

Le valet est dans la belote un atout majeur. Le signifiant toux accompagna mon enfance. Mon père disait « tu tousses comme un tubar ». Oui cette toux faisait barre, énigme pour l’autre elle incluait une jouissance provocatrice de la maladie.

Valet renvoie encore :

– au bridge où enfant je fus fasciné par le signifiant « mort »,

–  à la passion d’avoir joué à l’écarté, mot dont la prononciation me procurait un vif plaisir.

Ne m’étais-je pas bien dans mon drame d’être le délaissé ?

… Ma mère se plaignait de cela.

La signifiant vale se déploie en série pulsionnelle.

Versant oral c’est l’avalé, l’avaler côté dévorateur, une façon de « se bouffer la vie ».

Versant anal, c’est la valeur. Je lus dans mon nom le coût, (Cousty) et cette façon que j’avais de payer de ma personne, tentant par là aussi bien de trouver une réponse à ce que je vaux dans le désir de l’Autre qu’à  satisfaire la pulsion de mort au prix de quelques risques.

Mon engagement militant tenait autant de la révolte que de la volonté de faire consister le maître. C’était aussi une « mission » de protéger les petits, les sans grade… ceux laissés pour compte, signifiants souvent pris par le père.

Troisième séance un autre énoncé répondant à l’évocation de ma douleur d’écrire : « vous n’arrivez pas à écrire avec la castration » fut suivi d’un rêve: je vois des lettres, écrites en caractère d’imprimerie. J’associe cela avec un fait remarqué de longue date : ma grand mère paternelle eût trois fils et leur prénom commençait par la même lettre que la sienne : R. Un lapsus me fit écrire pour les journées de novembre « ma grand mère maternelle ». Les trois R du rêve pointaient une lettre dans sa répétition, le lapsus calami faisait résonner le signifiant mère.

L’entrée en scène de la lettre porte sa marque du féminin et pointe un « Que veut la femme ? ».

Elle agit surtout comme un reste. Un changement s’opère, une nouvelle position se dégage vis-à-vis de la castration : là où le sens bouchait se dévoile un trou : parler se fonde sur un trou, il n’y a de parole que parce qu’il y a un trou constitutif de l’acte de parler, parler creuse un trou et cela concerne le sexe et la mort.

Ecriture elle venait résonner avec ce que je m’étais construit comme symptôme puisque je m’étais inscrit dans le Champ freudien entre autre à travers la création de publications (Terre du CIEN) ou en participant à celles-ci (Tresses Bulletin de l’ACF Aquitania). Je pris acte de cela, et là où je me désespérais de ne pas me souvenir de mes rêves avec précisions, d’oublier,  j’y vis une boussole: il y a de l’impossible à dire, et à écrire. C’est de là que l’on peut s’orienter.

L’activité de penser s’allégea, en tout cas changea radicalement de régime, pour ne plus venir encombrer totalement mon existence, je découvrais que l’Autre n’existe pas. Ce fut alors un autre passage d’angoisse, mais une autre angoisse, dont je sortis rapidement.

Autant les angoisses passées semblaient me déconstruire, autant celle-ci venait là où rien ne peut répondre à ma place de mon existence, je dirai qu’il y a avait là la douleur de ressentir et d’éprouver la brûlure de vivre adossée à la pulsion de mort. Sur ce point d’angoisse, j’étais. J’avais décidé de vivre je devais m’y accrocher. Cela fut gai.

Et je repérais alors que seul l’acte pouvait me soulager. J’écrivis mon texte pour les Journées de l’ECF en 2009 ; à un autre moment je pris position dans le Journal des Journées, et notait que J.-A. Miller avait coupé mon texte juste à ce point de partage ou l’angoisse, ou l’acte, autour de ce que je disais de mon désir ; à un troisième moment je contactais ma mentor.

Les conséquences sur ma pratique vinrent, dans un lien entre ma cure et le contrôle. Je parle d’une petite fille qui met le manque à l’œuvre et tente de le recouvrir. Ma contrôleuse me dit, « il faut opérer une coupure pour que des formations de l’inconscient adviennent ». Un « bon sang mais c’est bien sûr » s’est énoncé alors! Un allègement se produisit. La volonté de soigner fut aussi entrevue. Y fut substitué la recherche du signe du Réel  qui fait morsure dans les dires des sujets.

Un s’entendre dire prend aussi place là où pour reprendre une interprétation de l’analyste il y avait un « je qui s’est tu », interprétation équivoquant avec le « su » du savoir, la mort. Il m’est revenu récemment qu’enfant, à la mort de mon grand père paternel je me suis demandé: « qu’y aurait-il là où je suis si je n’étais pas là » ?

Cette question a sans doute été la motivation névrotique du point où s’ébauche le désir de l’analyste. Sur cette route, le signifiant École représente un lieu possible où s’appuyer pour maintenir incessant un désir vivant et une éthique. S’en suit une demande d’entrée, pas logique à faire là où j’en suis de ma cure

A la question de « comment naît le désir de l’analyste je réponds donc par ce qui fut pour moi son ébauche, c’est-à-dire les conditions qui président à cette naissance. Il fallait d’abord que dans le roc des dits et du sens une faille, un trou fut opéré.

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Au-delà de la passe

Isabelle Galland


J’ai fait la passe en 2002. J’avais eu la certitude d’avoir fini mon analyse six mois auparavant et la procédure de la passe s’est imposée à moi comme moment de conclure.

Je l’ai vécu avec beaucoup d’enthousiasme. Il y avait eu un allègement considérable du symptôme. J’arrivais enfin à aimer un homme, ayant consenti au désir comme manque en abandonnant le tout phallique qui m’érigeait dans la vie. La rencontre avec les passeurs m’a permis de déplier la pulsion orale sous ses différentes formes : d’une boulimie sans limites j’étais passée à une gourmandise modérée mais vivante pour les choses de la vie, modifiant une position de demande avide qui se concrétisait par un « se faire bouffer » dans ma relation aux autres. J’étais arrivée à cette production : la plainte que « ma mère m’avait envoyée dans la gueule du loup » s’était métamorphosée en un « je croque dans la vie à pleine dent ».

Je n’ai pas été nommée AE. Je ne suis pas non plus entrée à l’École puisque le temps de la « passe à l’entrée » était révolu. La réponse du cartel de la passe m’a laissé entendre qu’il y avait eu des « effets de conclusion » mais qu’il était important que je continue mon contrôle avec un AME. J’ai pu rencontrer le plus-un de ce cartel quelques temps après. Il a su, avec beaucoup de tact, me faire entendre que la fuite était pour moi un savoir y faire

Ce qui a été le plus surprenant, c’est de réaliser, après coup, que « du psychanalyste » il n’en avait pas été question lors de la passe. Je recevais pourtant des patients depuis plus de 10 ans à l’hôpital où je travaille comme psychologue et j’allais régulièrement adresser mes questions et mes doutes en contrôle. Je n’ai pourtant pas parlé de cela lors de la procédure, occupée que j’étais à bien dire le savoir y faire avec le symptôme.

Après la passe, j’ai fait un rêve : je suis dans une église avec un groupe de gens, pour une séance « d’initiation ». Je suis face à face avec ma sœur et, dans une sorte de rituel, quelque chose sort d’une de mes oreilles : une chose noire et gluante que je jette par terre. Je reste effrayée et interdite mais aussi excitée et nerveuse avec le sentiment que quelque chose d’exceptionnel est en train d’arriver. Je vais chercher la personne réfèrente, qui apparait sous les traits de l’analyste, pour lui montrer ma trouvaille et lorsque nous nous penchons au dessus de ce déchet il se transforme en un oiseau et s’envole !

Au réveil je ressens une grande joie « ce n’était que ça » la chose immonde s’était envolée et moi, je m’étais débouchée les oreilles.

C’est après la passe que je me suis installée, et c’est dans l’après coup que j’ai réalisé qu’il m’avait fallu ce rêve et la passe pour que je m’autorise, de moi même … mais pas sans l’École.

Parallèlement j’ai modifié le contenu de l’enseignement que je donnais à la faculté de psychologie pour y introduire des concepts lacaniens. Ces deux actes n’ont pas été sans conséquences, l’angoisse m’a surprise. Ce n’était pas la même chose de recevoir des patients à l’hôpital que dans un cabinet. Ce n’était pas la même chose d’enseigner une clinique psychologique que de déplier, dans une tentative de bien dire, les concepts lacaniens. Angoisse et événements de corps m’ont remise sur le divan.

Faire une analyse après la passe… cela troublait mes idées reçues. De la destitution subjective, j’avais fait l’expérience. Que se passait-il alors ?

Il va sans dire que cette nouvelle tranche d’analyse se déroulait très différemment des précédentes. J’avais cessé de chercher du côté du sens la cause de l’angoisse. Je savais bien plutôt qu’il y a un « ne rien vouloir en savoir » et de l’impossible à dire que la parole tente de border.

Je n’avais jamais eu de difficultés pour prendre la parole en public, étant plutôt bonne oratrice dans les cours que je donnais en écoles d’infirmières voire même à la faculté de psychologie jusque-là. La rencontre avec l’angoisse au moment de prendre la parole ou de recevoir des patients signaient qu’un acte était à l’œuvre, acte que seule « l’angoisse est susceptible d’autoriser »[1]

C’est une phrase de l’analyste, entendue lors d’une soirée de travail, qui a mis en lumière cet affect et fait interprétation : « le silence peut être aussi une privation de la voix ».

Cette phrase m’a sidérée. Je ne ressentais plus depuis longtemps le silence de l’analyste comme une privation d’amour, comme j’avais pu l’éprouver lors de mes analyses antérieures, mais cela mettait en lumière une position de jouissance inconnue pour moi jusque là.

La plainte qui m’avait amenée à l’analyse – avoir un père qui ne me parlait pas – prenait un autre abord. Il m’avait privé de la voix, et j’avais répété cette position dans le choix de mes partenaires antérieurs. Quelque chose de cette position était tombé, avec l’extraction de l’objet oral, mais là on assistait à un tour de plus avec la mise à nu de l’objet « voix ».

Nous étions quatre filles, cinq femmes donc à jacasser autour d’un père qui ne disait rien la plupart du temps. Quand il prenait la parole cela nous clouait le bec. Il faisait de grands discours politiques ou intellectuels dont je me sentais exclue, étant trop jeune. A nos bavardages il répondait par des proverbes « la parole est d’argent mais le silence est d’or » ou bien « il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». À l’adolescence j’ai essayé de trouver des sujets de conversation qui pourraient le concerner mais rien ne semblait suffisamment intéressant pour le captiver.

Ma mère, elle, parlait beaucoup, mais … pour ne rien dire, ou plutôt pour surtout ne pas avoir à répondre à nos questions de petites filles. Je faisais souvent ce rêve où je criais, à en avoir mal à la gorge, et personne ne m’entendait.

La rencontre avec la psychanalyse a produit un profond apaisement : j’étais entendue enfin ! Mais ce n’était pas si simple. Ma première analyste a fini par me dire, face à un filet de voix que je faisais de plus en plus faible, « vous ne voulez pas qu’on vous entende ». J’étais donc divisée entre une logorrhée verbale ou ça ne cessait pas de vouloir se dire et le silence de « ne rien vouloir en savoir ». Tous ces éléments étaient déjà branchés sur l’objet voix mais je ne le savais pas.

La phrase de mon analyste « le silence est la privation de l’objet voix » a permis de déplier un fantasme de vouloir tout dire et, son envers, de pouvoir tout entendre. Même ma boulimie à l’adolescence s’éclairait de cette phrase que prononçait mon père : « toi, tu manges tes mots ! ».

Puisqu’on ne m’avait pas répondu, je serai, moi, celle qui répond, celle qui parle. Cette phrase venait, du même coup, éclairer l’idée très précise que j’avais du psychanalyste et que je me formulais tout bas : « je ne serai pas un psychanalyste qui ne dit rien ».

La mise à jour du fantasme a permis une chute de l’identification à « celle qui parle ».

Le résultat a été surprenant : je parviens à me taire face à mes patients. Je découvre, avec surprise, que je peux être frustrante et ne pas répondre aux questions qu’ils me posent et que cela n’est pas une catastrophe, au contraire cela produit des effets. Je constate aussi que les questions que je leur posais jusque-là, sous couvert de faire préciser un point plus particulier, signaient en fait une envie irrésistible de rassurer, consoler, guérir, de boucher finalement des points de réel qui voudrait voir le jour. J’observe, je pourrais même dire que j’expérimente, depuis, les effets de ce silence nouveau : je reçois dernièrement un patient qui se plaint et revendique que ce qui lui arrive est de la faute des médecins. Je me surprends à être agacée par ce rabâchage. Il y a quelques temps j’aurais pu lui suggérer une autre façon de voir les choses. Là, je me tais comme aux aguets de ce que cette plainte recouvre. Il a pu, de ce fait, déplier sa plainte, pour réaliser que ce dont il s’agissait était de l’angoisse qu’il a mise, depuis, au travail.

J’ai pu aussi me rendre compte que j’avais interprété la réponse de l’École à ma passe : « ne pas être nommé AE », comme le fait que je devais me taire, ne pas témoigner de mon analyse ni de l’expérience de la passe. Hors cette conclusion n’était-elle pas aussi une «injonction à se taire », une injonction de jouissance, qui peut aujourd’hui se muer en un « se faire entendre » ?

D’une injonction de jouissance à se taire s’est dégagé un consentement au silence : cela signe un désir inédit, un changement radical qui s’opère du coté du désir du psychanalyste, et non plus du désir de guérir.


[1] Jacques Alain Miller « Angoisse constituante, angoisse constituée »

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Du désir d’une place à la place du désir

Anne Cosyn

Systématiquement en retard à mes séances d’analyse, mais aussi dans tous les rendez-vous du quotidien, je manque à ma place. Il m’a fallu vivre très récemment un autre mode de cette absence, celui de l’anticipation dans un projet avec mes collègues de Rennes, pour prendre toute la mesure de ce que « manquer à ma place » veut dire. Cette fois-ci, je n’étais pas au bon moment à la bonne place, non plus parce que j’étais en retard, mais bien parce que j’y étais, si je puis dire, trop tôt, me contraignant à faire marche arrière dans mes démarches ! Il ne s’agissait donc plus de répondre à un « tu me manques » adressé à chacun de mes parents par un « je vais vous manquer. ». Non, je prenais conscience d’un pas de plus, à ne pas prendre place et à réaliser ainsi un « Je vais me faire manquante. Je vais prendre, à moi toute seule, cette place du manque. Mais du manque pour qui ? Du manque pour l’Autre. Je vais me faire manque pour l’Autre. ».

Ainsi donc, est-ce cette position phallique de désirer se faire le manque de l’Autre qui m’a empêchée d’écrire pour les Journées de Novembre ? Écrire, c’est s’inscrire, c’est se donner une place, même si elle reste très discrète et très modeste.

Cette prise de conscience vient dans l’après-coup des Journées de Novembre et de ma nomination en tant que membre de l’ACF Belgique, elle se noue, se cheville et se construit dans une période de travail intense et profond dans mon analyse. Cet effet d’après-coup m’a permis de déposer pour la première fois un texte au congrès de l’AMP. Je l’ai vécu comme un franchissement, comme un acte, acte qui ne va pas de soi pour qui manque à sa place.

Le questionnement dans mon analyse autour de « ma » place dans ma famille depuis l’enfance au regard du désir d’une place que je construis pas à pas depuis quelques années dévoile, oriente, autorise la place d’un désir, de mon désir de devenir analyste.

« Construire la place d’un désir de devenir analyste » épingle le signifiant « construire » comme emprunté à ma première profession d’architecte d’intérieur qui me permit de prendre place dans ma famille. Un semblant de place, en fait, auprès du père, qui ne résistât que peu de temps, une fois les études terminées, à la fermeture progressive de l’espace familial et professionnel, espaces (au pluriel) non distincts et tissés de liens complexes entre un père architecte, une mère, architecte d’intérieur et un frère de trois ans mon aîné, architecte lui aussi !

D’une première tranche d’analyse de cinq ans chez une « Anna-lyste »[1] freudienne, je saisis des bouts, des brins, des bribes[2] de cet embrouillamini de fils dans lesquels je me perdais. Et puis ce fut la contingence d’une rencontre, comme souvent, qui me permit de découvrir la lecture des textes de Jacques Lacan et la Section Clinique de Bruxelles, ensuite.

C’est de cette époque que date la première formulation, dans mon for intérieur, d’une question posée sur le mode de l’indéfini « Comment devient-on psychanalyste ? ». Elle prit une forme détournée lorsque je me saisis sans hésiter de l’équivoque de la réponse de Bernard Seynhaeve à mon désir de travailler en institution. « Nous avons peut-être du travail pour vous, il s’agit de l’entrée de notre institution ». Je dessinai la porte d’entrée du Courtil et ce fut mon dernier projet d’architecte d’intérieur.

Dans ce battement de sortie et d’entrée, j’entamai un stage à l’Antenne 110 dont le but premier était de me donner accès aux présentations de malade de la Section Clinique, si j’y satisfaisais. Ce but s’estompa très rapidement pour faire place au désir de travailler en institution où la psychanalyse appliquée orientait un travail à plusieurs. Une petite phrase de Bruno de Halleux me servit d’appui : « Mais vous savez, Anne, chacun avance à son rythme, pas à pas. » Je partis, décidée, m’inscrire à l’Université de Mons (Belgique), pour reprendre des études de psychologie clinique.

Ce choix, celui de l’Université et de la psychologie clinique, n’était certainement pas anodin. Au-delà de la garantie d’un diplôme dans un paysage politique belge mouvant quant à l’accès à la profession de psychothérapeute, l’Université représentait pour moi le lieu des savoirs, de l’intelligence et de sa mesure. L’intelligence était un autre enjeu familial, une exigence du père, et je m’en croyais dépourvue là où elle avait été « objectivée » par un test chez mon frère, dès son plus jeune âge. Entrer à l’Université était un acte par lequel je mettais en question, en jeu, mes capacités en acceptant pour la première fois de me soumettre aux jugements de professeurs à qui je supposais un haut niveau intellectuel. Avec le recul, entrer à l’Université était, me semble-t-il, une première tentative de trouver, d’approcher ce qui de ça-voir me limite.

Quelle ne fut pas ma surprise, pour ne pas dire ma stupéfaction, d’entendre au détour d’un cours : « Lacan, c’est illisible et c’est incompréhensible ! » Je pris la décision de créer un cycle de conférences à l’Université, alors que je n’étais encore qu’étudiante, en réponse à ce dévoilement des semblants d’un certain type de discours universitaire. Il me parut inacceptable que l’accès aux fondements des études en psychologie clinique soit ainsi balayé par un « docte » jugement et ce séisme tout intérieur me fit entendre la force de mon engagement pour la psychanalyse et mon désir sur lequel je ne pouvais dès lors pas céder, celui d’en transmettre quelque chose en ce lieu, à l’Université. C’est ainsi que naquit « Pas à Pas. Introduction à la Lecture de Jacques Lacan », il y a quatre ans, créé et structuré particulièrement à l’attention des étudiants, mais aussi des professionnels. Chaque année, avec le concours de mes collègues de l’Antenne Clinique de Mons, nous invitons les participants, toujours plus nombreux, à lire, pas à pas, un séminaire.

Si je parlais, il y a un instant, d’un certain type de discours universitaire, c’est que l’idée d’un discours universitaire monocorde et uniforme me convainc de moins en moins.

Une des raisons peut paraître simpliste mais découle de mon état actuel de chercheuse à l’université. En effet, apprenant l’ouverture d’une bourse de recherche quinze jours avant la défense de mon mémoire de fin d’étude, j’informai mon Directeur de mon souhait d’y postuler, orientée par mon désir de transmission. Il m’épaula dans la constitution de mon projet de recherche et fut présent à chaque étape de sa défense dans les différents Conseils de l’Université, y compris et avant tout au Conseil de Recherche. Quelques heures après la défense de mon mémoire, j’appris que je venais d’être reçue comme chercheuse boursière de l’Université pour avoir parlé des « Us du Laps du Motus »[3] et engagé un questionnement sur le silence dans la parole des personnes en souffrance psychique.

Avoir su saisir cette opportunité, ouvrir un espace de recherche tout à fait inédit et hors standard à l’Université de Mons, dans lequel la psychanalyse d’orientation lacanienne fait fondement et dialogue avec des champs épistémologiques connexes, me permet de témoigner d’une ouverture. Celle-ci étant fruit non pas de l’accord de discours divergents, voir carrément opposés, mais bien fruit de la contingence d’une rencontre entre sujets et du transfert que cette rencontre a suscité. C’est dire qu’avant de se focaliser sur l’opposition des discours, mon orientation est d’abord de mettre en valeur l’importance des personnes qui les produisent, et à une plus petite échelle des personnes avec qui je travaille, dont je souligne la qualité d’ouverture d’esprit et la force de l’engagement.

Aujourd’hui, la construction de ce parcours que j’ai tenté de vous présenter en quelques mots, mon travail en analyse, mon désir de transmission de la psychanalyse d’orientation lacanienne à l’Université, tout s’intrique et converge vers mon désir de devenir analyste et de revenir à une pratique clinique après une année et demi consacrée exclusivement à ma recherche de doctorat.

Et comment revenir à cette pratique clinique à partir de laquelle, un jour peut-être, je pourrai témoigner du désir de l’analyste ? En m’engageant depuis quelques mois dans la création d’un projet de consultation clinique qui prenne place dans les murs mêmes de cette institution, consultation qui sera assortie d’un pôle recherche et d’un pôle transmission.

Ce projet, comme « Pas à Pas », est issu du désir d’Une, mais fait l’objet d’un travail à plusieurs. Six collègues de notre champ m’ont rejoint et nous travaillons à la création d’une structure, orientée vers l’Université. Le projet étant en plein développement, il sera plus propice de le présenter ultérieurement, si nos démarches aboutissent et dans l’après-coup de sa fondation.

Rendre compte du lien qui m’est propre entre désir de l’analyste, désir pour la psychanalyse et savoir universitaire me ramène vers l’interprétation par laquelle mon analyste avait clôturé une séance dans laquelle je faisais état de tous mes projets.

« Vous êtes une fonceuse ! », m’avait-elle dit en levant la séance, me laissant dans une certaine perplexité. Une fonceuse ? Moi si lente dans tous les gestes du quotidien jusque dans mon élocution, « fonceuse » apparaissait pour le moins paradoxal, créait la surprise ! « Fonceuse » soulignait sous un angle nouveau mon rapport au temps : car je n’ai de cesse de me plaindre de son manque, éprouvé toujours à me buter à sa limite.

Mais surtout, « Fonceuse », comme modalité du mouvement et dimension de l’acte, comme dimension du pas qui fait franchir au galop certains Rubicon, cela me plaît.

Car sans acte, pas de désir qui tienne la route.


[1] Cf. Lacan Jacques, la lyse-Anna in « Radiophonie », Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 423.

[2] Normand Claudine, Bouts, brins, bribes, Petite grammaire du quotidien, Orléans, éditions Le Pli, 2002.

[3] Titre construit en référence au cours de J.-A. Miller, donné en 1999-2000 à l’Université de Paris VIII, sous le titre « Les us du laps ».

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Courbe – voie

Francis Felzine

Je voudrais parler de l’incidence d’un signifiant, en tant qu’il peut marquer une existence de son poids, et de l’expérience analytique, en tant qu’elle permet éventuellement d’objecter à ce destin. Ce signifiant, S1, est-il pour autant un signifiant hors sens, alors même qu’il paraît donner sens, dans toutes les acceptions de ce mot, à la dite existence .

Courbevoie, c’est ainsi que s’appelle la ville de banlieue dans laquelle j’aurai vécu les vingt-cinq premières années de ma vie. Dans ma jeunesse, elle faisait partie du département de la Seine, au même titre que Paris : les voitures y étaient immatriculées 75. Un décalage s’inscrivait là : c’était Paris, et ce n’était pas Paris. Ce décalage se redoublait d’une division : je pouvais me dire « parisien » dans ma province natale, et provincial dans le 75.

L’année scolaire se passait en effet  à Courbevoie, les vacances dans la région des racines familiales, et de ma naissance. Ce lieu était objet  pour moi de toutes les nostalgies. Je ne l’ai rejoint que tard dans la vie, avec un sensible décalage géographique. Comme si une tension était à maintenir.

Lorsque, une fois le bac en poche, il s’est agi de faire des études, je me suis trouvé dans une grande indécision. En classe de terminale,  la philosophie m’avait passionné. Mais cette discipline était pour moi prise dans un imbroglio intrafamilial. Disons qu’elle était incarnée par deux femmes qui, chacune sur un mode particulier, interpellaient mon père. L’une, une sœur plus âgée, était par ce biais pour lui une interlocutrice privilégiée, place que je convoitais sans doute. C’est par elle que j’entendis pour la première fois parler de Freud, et des « lapsus révélateurs ». L’autre avait infiltré le cercle familial et, par ses manœuvres, laissait mon père coi. Cette voie était dès lors bouchée pour moi, m’obligeant à une courbe. Nouveau décalage.

Je choisis l’allemand. Là encore, un professeur avait été déterminant. Sa façon d’enseigner était poétique. Dans sa classe, Goethe fuyant l’amour de Frédérique Brion devenait présent, il en fustigeait la lâcheté. Je retrouverai dans Le mythe individuel du névrosé, qui inaugura ma rencontre avec Lacan, la description fulgurante d’une courbe voie que lui nomma « dédoublement narcissique ». Il s’agit d’un détour par l’autre opéré par le névrosé obsessionnel, qui met en scène à son insu l’inaccessibilité de l’objet, dès lors entouré d’une « aura d’annulation ».

Ce que j’ai toujours su ne m’est néanmoins apparu que très tardivement : c’est dans la bouche de mes parents, qui n’avaient jamais appris cette langue, que j’avais entendu les premiers signifiants de la langue allemande. Ils avaient trait bien sûr à la guerre : mein Kampf, Führer, Ersatz, Gestapo, Blitzkrieg etc. Il y avait aussi ce grand-père maternel, disparu à Verdun, et qui avait pu transmettre une alliance, que je porte aujourd’hui. D’un côté donc, l’enseignement reçu était venu tamponner l’horreur du siècle liée à une langue que la fin du XIXe siècle s’était mise à vociférer, ainsi que l’écrit Nietzsche dans Le gai savoir. De l’autre, par le biais de cette langue, je gardais quand même un lien à l’impossible philosophie. En effet, mon professeur de terminale, traducteur éminent de Heidegger, nous rendait témoin quotidiennement de son travail. J’étais fasciné par son érudition en grec, en latin, en allemand.

Que faire à dix-huit ans ? Interprète ! Les instituts de formation étaient hors de prix, la modestie de mes origines excluait cette option. L’école, l’enseignement ? J’étais issu d’une famille d’instituteurs, la voie semblait toute tracée. Je l’empruntai sans enthousiasme, par défaut.

À l’âge de vingt-et-un ans, je partis pour un séjour d’une année en Allemagne. Lors d’un stage à Strasbourg, on nous parla du Malaise dans la civilisation. Je l’achetai: ce fut une rencontre, qui n’a jamais cessé depuis, avec Freud dans le texte original. Ça allait contre mon professeur admiré, qui n’aimait guère la psychanalyse, mais ça venait confirmer, accentuer mon décalage avec mes camarades étudiants et mes collègues à venir. Je ne me sentirais jamais comme eux.

J’avais rencontré l’angoisse quelques mois plus tôt, dans le contexte d’une déception amoureuse. L’objet regard, mais aussi l’objet oral, avaient joué un rôle prévalent dans son surgissement. Cette rencontre détermina une pantomime du sujet, dès lors pris entre tout faire pour être sous le regard de l’Autre, et tout faire pour se fondre dans la masse : entre jouissance et défense. C’est dire que le mot même de « malaise » avait pris pour moi un sens très intime. C’est outre-Rhin que je consultai pour la première fois un psychiatre, auquel m’avait adressé un médecin généraliste. Il me déconseilla explicitement le recours à la psychanalyse, censée vous démonter telle un mécanisme d’horlogerie et vous laisser en plan avec vos pièces détachées.

De retour en France, c’est pourtant vers la psychanalyse que je me suis tourné, à travers une série de contingences. Un premier analyste, vu à la MGEN, répondit à mon refus d’une cure : « À votre gré, mais peut-être vous trouverez-vous un jour au pied du mur. » C’était bien vu. Plus tard, un autre psychanalyste, analysant de Lacan, niché, comme il le disait à peu près, au cœur d’un service hospitalier, me reçut durant quelques mois. Il avait su m’adresser une parole décisive, qui fut pour moi un instant de voir : « Vous êtes gravement névrosé. » Il me parlait de Lacan, dont il suivait le séminaire, mentionna un mot qui me plongea dans la perplexité : objet plus-de-jouir.  Toutefois, mon peu d’assiduité aux séances, gratuites, lui avaient fait mettre un terme à l’expérience, non sans m’avoir donné deux adresses : celle du Docteur Lacan, et celle d’un membre de l’EFP. La courbe voie joua à plein : je me fermai au « Rappelez-moi mercredi à dix heures ! » que m’adressa Lacan au téléphone d’une voix qui m’impressionna, et empruntai le détour.

Je ne me fermai pas par contre à l’orientation lacanienne. C’est là que la voie commença à se redresser. Il fallait pour cela apercevoir la courbe: vois la courbe ! L’idée de devenir analyste se formula pour la première fois vers la fin de cette seconde tranche, qui fut longue. Le temps pour comprendre avait pris son départ de cette interprétation, que m’avait adressée ce second analyste lors des trop brefs entretiens préliminaires : « Vous êtes l’envers de cette médaille qu’est votre père. »

Dans les rues de Courbevoie, sur le chemin de l’église le dimanche, je voyais des parents reconnaissants saluer l’enseignant marquant qu’était mon père. Par sa culture, sa réflexion, il excédait, aux yeux de ceux qui l’ont connu, et de moi assurément, le signifiant qui le représentait professionnellement : instituteur. Il publia un Manuel d’analyse grammaticale et logique. À l’instar des deux professeurs dont j’ai parlé, la langue était son affaire, comme elle est la mienne. Je m’en souviendrai lorsque je serai responsable du bulletin de l’ACF-MC. Mais il lui avait fallu pour publier la caution d’un ami à lui, agrégé de l’Université, dont le patronyme  évoquait l’étai. Était-ce ce dont je devrais apprendre à me passer ?

Une première tentative d’entrée dans la pratique analytique illustra ce point. L’analyste, qui était également mon contrôleur, s’absenta à un moment où l’angoisse de ma patiente était massive. Je ne sus y « répondre » qu’en écourtant les entretiens préliminaires en face à face pour lui proposer le divan – soit en répétant l’erreur faite, je pense, par cet analyste à mon endroit, et donc aussi, et donc surtout peut-être, en méconnaissant les conséquences psychiques de la différence anatomique des sexes. Là où, analysant, j’avais consenti, la dame refusa. Faux départ.

Retour en arrière : à l’Université, le directeur du département me parlait agrégation, quand je me sentais désagrégé. Je ne me présentai au CAPES que sur l’injonction amicale d’une camarade. Le concours une fois obtenu, la cure analytique devint mon seul souci. Le ministère m’avait envoyé dans un endroit qui me glaçait. J’y rencontrai pourtant celle qui deviendrait ma femme, et la mère de mes enfants. Plusieurs fois par semaine, le train me ramenait à Paris pour mes séances. On sait qu’il favorise la lecture. Achetant les livres de Freud chez le libraire Martin Flinker, quai des Orfèvres, j’appris que Lacan était, parmi d’autres célébrités, de sa clientèle. Lacan, je l’avais entendu une fois, en 1972-73 je crois. Il était très enrhumé ce soir-là : ça et la fièvre qui l’entourait sont tout ce dont je me souviens. Vers cette même époque, j’avais entendu Radiophonie. Une phrase me saisit littéralement : « La cause du désir n’est pas son objet ».

L’enseignement, soit pour moi l’assomption d’une position paternelle, fut mon affaire bien plus que je ne le croyais. Il m’a fallu, pour saisir cela, reprendre ma cure, avec un troisième analyste. De nombreuses années s’étaient écoulées depuis la fin de ma seconde tranche, durant lesquelles je m’étais consacré au travail dans l’ACF et à la Section clinique. Les voies les plus fécondes sont rarement les plus aisées. Je saisis mieux la profondeur de cette phrase qu’aimait citer Freud : « Ce qu’on ne peut atteindre d’un coup d’aile, il faut l’atteindre en boitant. Il est écrit : boiter n’est pas un péché ».

C’est l’une des nombreuses choses que je retirai d’une cure qui se poursuit, en face à face. L’interprétation donnée dès la première séance fut absolument décisive pour toute la suite : « Vous êtes un grand angoissé. » Le moment de conclure pouvait à partir de là s’ouvrir pour moi. Ce que ce diagnostic débusquait en effet, c’était la position de jouissance du sujet, celle-là même qui conditionnait évitements, atermoiements, donc la voie courbe, mais aussi bien des franchissements sauvages – ainsi qu’une inhibition à dire, particulièrement à dire à l’autre son fait, ce petit autre incarné primordialement par un frère aîné. Tirer de cela les bonnes conséquences : voilà la tâche qui se dessinait. Il s’agirait de démasquer l’angoisse sous ses mille et un visages, de faire d’elle un moteur, une « ouverture » (Lacan, Séminaire X p. 308) là où elle était un frein. Le désir de l’analyste allait se préciser là, passant par une plus grande liberté de parole, d’énonciation: la vwa comme courbe (v-o-i-e), mais aussi bien comme v-o-i-r, trouvait peu à peu son traitement par la vwa (v-o-i-x), devenue support d’une énonciation,  impossible quand l’objet regard avait saturé la scène.

La vision  quasiment religieuse  du fonctionnaire en France, qui se doit entièrement à son ministère, compliquait considérablement la question d’une pratique analytique. Cette difficulté m’aura confronté à la tâche délicate de ne pas céder sur mon désir. À cet égard aussi, ma troisième analyse aura été capitale. Le choix de mon analyste s’est fait dans la suite d’un rêve déjà transférentiel : il me fait franchir un relief, emblématique de la contrée montagneuse que j’ai choisie comme lieu de mon énonciation. Quiconque l’a aperçu depuis la ville sait qu’il a la forme d’un sein. Combien de fois, enseignant, ai-je tracé au tableau noir le mot allemand qui s’écrit s-e-i-n ? Une jouissance se chiffrait là. C’est sur cette mention que s’acheva ma seconde analyse.

Le signifiant kurbǝvwa avait montré sa puissance: puissance hors-sens ? Le phonème vwa peut s’écrire voie, voix, vois / voit et aussi voua, passé simple du verbe « vouer ». À la voix répond le nom de mon village natal, qui fait écho à la parole. Le sujet, dirais-je,  se courbevoua à la parole. La langue, qui est toujours de l’Autre, je l’avais en quelque sorte fractionnée, quand rien dans mon histoire familiale ne m’y prédisposait. Rien ? Comment ne pas donner tout son poids au patois que j’ai beaucoup entendu parler, et que ma mère maniait avec bonheur sans rien faire pour nous le transmettre. Est-ce à dire que cette guise de la langue maternelle fut pas-toute pour moi ? Le « pas toi » du patois ! Je dirais qu’il fut d’autant plus lalangue pour moi qu’il me resta largement fermé quant à son sens et son maniement.

Parler d’ « angoisse inconsciente » n’aurait, à en croire l’un des nouveaux traducteurs de Freud, pas de sens (cf. « Traduttore, tradittore » in Le Journal des Journées n° 88). C’est pourtant à cette découverte que conduit le traitement analytique de ce que Freud appelle ses « équivalents ». Il en ressort un sujet qui ne savait pas qu’il était angoissé.

S’il m’est arrivé de faire quelques travaux de traduction, déposés à la Bibliothèque de l’ECF, je n’ai jamais souhaité me consacrer outre-mesure à cette tâche de bénédictin. Le faire eût constitué pour moi une nouvelle dérobade. La question de l’interprète est mon affaire, celle de l’interprétation qui vise le hors-sens de la jouissance. Le signifiant kurbǝvwa a valeur à cet égard de cette « saloperie que vous avez chopée du discours de l’Autre », comme s’exprime J.-A. Miller (« Choses de finesse en psychanalyse », Cours du 19 novembre 2008).

« Vous êtes … » : c’est en écrivant cette intervention que je réalise la forme qu’ont prise les trois interventions inaugurales de mes trois analystes. Sans doute cela répondait-il à un « Que suis-je ? » implicitement posé. « Vous êtes … » : avant d’être ceci ou cela, c’est d’abord : « Vous êtes. » Le prédicat, lui, est passé du S (la névrose comme classe nosographique) à l’I (la médaille paternelle) au R (l’angoisse comme ce qui ne trompe pas).

Dès lors, un franchissement pouvait s’opérer, pas sans l’étai si singulier du transfert, ainsi que l’indique le rêve. Il m’a permis par exemple d’offrir à telle patiente, déprimée du fait du lâchage par le partenaire sexuel, le soutien du regard, sans lequel aucune énonciation n’eût été possible pour elle.

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D’un vertige à l’autre

Béatrice Brault-Lebrun

Ma vie a pris un autre virage à mes 16 ans : découverte de Freud au lycée. Après avoir lu « Les études sur l’hystérie », malade,  alitée comme souvent à l’époque, l’envie me prit de faire une psychanalyse. Le défilé  chez  les médecins devait cesser. Je voulais sortir de cette image figée renvoyée par ma famille, depuis mes 8 ans, l’image de la pauvre et fragile enfant qui avait subitement perdu sa mère. Ma mère aimait jouir de la vie et, depuis sa disparition, le plaisir et la satisfaction étaient devenus interdits à la maison. Ainsi, le jour de ma première rencontre amoureuse, où je fus « prise en faute », j’ai craint la réprobation de ma famille et j’ai pensé : « Je suis morte ! » En un éclair, j’ai alors fait ma première syncope. Je venais de tomber subitement comme ma mère.

Peu après, débute  mon aventure avec la psychanalyse. A l’époque, en Bretagne, dans ma petite ville d’origine, aucun analyste d’installé. Je démarre alors un premier travail analytique, qui durera 7 ans, avec un psychologue clinicien qui avait lui-même fait une analyse.  Des effets thérapeutiques surgissent rapidement ; je ne suis plus autant malade et m’évanouis moins. Le désir de « devenir psychanalyste »  commence alors à naître en moi, comme par défaut : je ne voyais pas –  du fait d’être engagée dans cette aventure –  ce que je pouvais « devenir d’autre ». Je poursuis des études de psychologie, à Rennes d’ailleurs, où je découvre Lacan. Mes études achevées, je quitte ma région pour un poste de psychologue.

J’entreprends alors ma première tranche d’analyse en Belgique chez un  membre de l’ECF. Le début de cette analyse me permet  d’élucider un point énigmatique depuis enfant, quant à la relation à mon père, marquée d’un impossible et d’une impasse qui me faisaient souffrir. Après le décès de ma mère, toute adresse de ma part à  son égard, en parole ou en acte,  était mal venue ou rejetée. Les questions les plus anodines étaient encore moins supportables pour lui.

A 13 ans, après qu’il m’ait adressé cette parole radicale : « Ne parle pas de ta mère, tu ne peux pas t’en souvenir ! », j’appris qu’il s’était remarié parce qu’il avait une fille en plus de ses deux fils ainés. C’était impossible pour lui d’être un père pour sa fille.

Par contre, je remarquais que ce qui opérait pour lui depuis toujours, c’était d’être reconnu comme « l’artisan ingénieux » dans  le village. Position  qu’il occupait dans l’existence et que je soutenais enfant, avec une certaine fierté  afin de pouvoir parler de lui à mes amis. C’est le  père que je me suis fabriqué. D’ailleurs, il m’était possible de parler avec lui uniquement de son travail, de ses clients, à condition que je ne lui demande pas à mon tour de réparer quelque chose pour moi. Là, au contraire, il n’était pas fiable pour sa fille.

La compréhension de certaines coordonnées de cet impossible, entre lui et moi, mit d’une part en avant qu’il ne s’agissait pas d’une question d’amour, mais bien d’un impossible structural chez mon père ; et d’autre part – conséquence logique –  cette élucidation me fit cesser toutes ces multiples demandes d’amour vaines à son égard. J’appris alors à construire un « savoir-faire » avec lui : ne pas parler de lui, ni de moi, excepté de son travail, en évitant toute question. Cette manière d’être avec lui a façonné un semblant de relation père-fille un peu plus apaisée.

Après quelques années d’analyse, cet apaisement suscite dans ma vie amoureuse une accalmie laissant place à la rencontre de celui qui devient mon mari, engagé lui aussi pour la cause analytique. Enceinte de mon premier enfant,  je décide de commencer à recevoir comme jeune « analysante-analyste » et j’entreprends un contrôle. Ce désir d’enfant  ne venait  donc pas faire  barrage au désir de « devenir analyste » qui se maintenait, certes pas sans ombrages ni tempêtes.

Les vertiges reprirent lorsque la crainte, non plus de « tomber », mais « d’être laissée tomber », surgit à la suite de deux événements.  Le premier : mon père me dit dans un de ses moments de furie inexplicable : « Trouve-toi une autre famille ailleurs ! ». Le second : dans un contexte de travail,  un collègue en qui j’avais confiance me dit de manière inattendue : « Y’a pas de place ici pour vous, allez voir ailleurs ! ».  Cette deuxième parole fit traumatisme ! Je développai une angoisse insurmontable, me rendis malade,  j’étais dans une réelle impasse. Ces paroles me renvoyaient à ma position fantasmatique « On ne veut pas de moi ici. » Fantasme ayant pris ses racines, enfant dans la relation à mon père lorsqu’il me rabrouait, et à l’adolescence lorsque j’étais logée par ma famille très catholique à cette place de la « mauvaise fille » tournée vers le désir sexuel et l’amour. Fille qui ne répondait pas à leurs attentes, je les décevais, contrairement à mon frère aîné, le « garçon modèle » fortement idéalisé dans la famille. Lui, se soumettait à leurs idéaux. J’ai longtemps cru et envié qu’il aurait été plus facile pour moi d’être un garçon dans cette famille. Pas si sûr ! C’est plutôt, déjà fillette, le goût pour la culture de l’esprit et la curiosité qui m’ont maintenue en éveil jusqu’à ce que je rencontre la psychanalyse.

Au cours de ma première tranche d’analyse, le savoir produit sur ce fantasme s’est montré insuffisant et impuissant face à l’impasse dans laquelle je me suis retrouvée.  Je décidai alors de poursuivre mon analyse « ailleurs », chez un autre analyste de l’ECF.  J’y trouvai une place et, pourtant, je craignais que cette autre analyste « ne veuille pas de moi », ce fantasme était toujours bien présent.

Au début de cette seconde tranche d’analyse, un acte manqué me surprend dans l’intervalle de deux séances qui avaient lieu le même jour : au volant de ma voiture, je prends un « sens interdit ». Cet acte manqué m’a valu les recommandations d’un charmant homme au volant de sa voiture qui arrivait à contre sens. Réalisant cette réussite de l’inconscient, je fus prise d’un fou rire tout en disant à cet homme que j’étais désolée. Je le raconte à mon analyste lors de la deuxième séance. Elle clôture rapidement la séance en me disant sur un ton enjoué : « Vous venez ici faire des choses interdites ! »

Cette parole venait de toucher juste là où il fallait. J’en restais bouche bée et fus saisie d’un grand allègement. Le « sens interdit » me renvoya à ma curiosité infantile et à la « jouissance sexuelle interdite » dans ma famille, et que je m’interdisais. Cette parole fit interprétation : elle autorisait. Peu après, je n’ai pu que constater un nouveau mode de jouissance inconnu jusque là, le franchissement d’un  interdit menant à la satisfaction sexuelle. Je retrouve le vertige sous un autre mode. Il n’est plus uniquement signe d’angoisse mais aussi indice d’une satisfaction possible.

Du nouveau se fait jour dans mon analyse. Je m’autorise alors à rêver et désirer des choses interdites et que j’ose dire. Je ne me sens ni jugée ni rabrouée comme la « mauvaise fille » de mes 16 ans, sans être « prise en faute ».  J’entrevois que « l’interdit » soutient depuis longtemps mon désir, dans divers domaines d’ailleurs, y compris dans celui du travail où je m’autorisais peu de place et laissais d’autres m’empêcher d’en avoir une. Surgit donc dans ma vie, un « dire que non » à la bonne morale, et une prise de distance par rapport à l’injonction surmoïque.

Mon analyse est en plein chantier actuellement. Le défilement de rêves et de pensées soutient le travail analytique, entre la crainte de l’interdit et le questionnement ouvert sur la jouissance féminine. Par exemple, ce rêve : « Débordée par le travail, mon analyste me tend un paquet de cours de JAM  en me demandant d’en extraire, au plus vite, ce qu’il en est de la question de la jouissance féminine. Surprise, sur un air interrogatif, je lui dis « moi ? », elle ne répond pas mais sourit tout en me remettant ce paquet. Sur sa proposition de me mettre sur le champ au travail, je m’installe entre deux séances dans sa salle d’attente transformée en salle d’étude remplie de livres. Je lui demande seulement si elle a du feu, elle m’en donne et je me mets au travail. La sonnette retentit, je me réveille. »

Bien entendu, ce rêve me surprend car je ne me dérobe pas,  même si j’essaye avec ce « moi ? » interrogatif. Cette demande de l’analyste dans le rêve, s’adresse bien à moi, contrairement au « moi » dont « on ne veut pas » de la formulation du fantasme. La relation transférentielle, dans laquelle tant le désir de l’analyste que celui de l’analysante sont mis en avant dans le rêve, cause ce « moi interrogatif ». L’analyste est mis en position,  d’une part,  d’être supposé savoir que son analysante veut en savoir plus sur la question de la jouissance, et d’autre part, l’analyste est supposé en détenir un certain savoir. Ce rêve révèle aussi la mise en route du déchiffrage de l’inconscient sur cette question et sur celle du manque à être.

Que dire des conséquences depuis ces changements et nouveautés dans mon analyse ?

Tout d’abord, quant à la question de mon rapport à la jouissance féminine,  je suis beaucoup moins insatisfaite dans ma vie de couple avec mon partenaire.  Les symptômes corporels s’apaisent. D’autre part, je ne suis plus affectée,  comme par le passé,  de la relation distanciée avec mon père. Enfin, quant à l’objet cause du désir,  je suis beaucoup plus active au travail  dans  mon rapport à la cause analytique. J’ose aller de nouveau parler à des congrès, rédiger des articles, les publier. Je me déloge donc un peu de cette position fantasmatique « On ne veut pas de moi ici. »   Le désir de l’analyste se trouve ravivé.

Je poursuis mon analyse avec des moments d’angoisse parfois très présents. L’angoisse me permet dès lors une mise au travail et ne me laisse plus dans l’impasse.

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Puis-je m’arrêter (d’analyser) ?

Jean-Marie Adam

« Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron »

Gérard de Nerval

Il paraît difficile d’imaginer qu’un analyste puisse se mettre en retraite de son acte. La pratique de la psychanalyse ne s’apparente pas à une profession, analyser n’est pas un métier, en conséquence de quoi elle n’appelle pas de repos bien mérité. Elle est vécue comme consubstantielle à la vie de celui qui s’y consacre. Point d’arrêt donc, sinon la fin de l’analyste.

Il est donc tout à fait iconoclaste de poser la question d’une interruption volontaire de la pratique, et l’éventualité de répondre à une question qui ne se pose pas n’est pas sans poser quelque souci.

Je peux tenter d’argumenter cet impossible à partir de considérations d’ordre éthique, autour de ce qui se présente comme un choix politique, une conception de l’homme – bien que Freud nous ait appris que l’analyse n’est pas une Weltanschauung. Malgré tout, cette argumentation pourrait avoir un certain impact dans un temps où l’on a voulu, comme nous le rappelle Agnès Afflalo, assassiner la psychanalyse. Il y a eu péril en la demeure. La vigilance est un impératif et sans celle de Jacques-Alain Miller lors de l’été 2008, notre pratique aurait été mise en coupe réglée par les technocrates du ministère de la santé. Ce qui est menacé ici ce n’est pas notre activité professionnelle, mais une certaine idée de l’homme, arrimé aux signifiants, pris dans lalangue et sa conséquence, le pas-tout savoir. L’inconscient, auquel il faut croire nous dit Lacan, jeté dans les poubelles de l’histoire par les TCC, emporte avec lui le sujet barré, soit l’homme comme énigme, et non comme machine. Et cette énigme ne peut tenter de se nommer que au un par un ; pas question donc de se désister.

Et pourtant, puis-je faire de cette conviction un engagement personnel ? Puis-je hisser cela au niveau d’un idéal ? L’acte de l’analyste, sa visée, consiste à maintenir la différence entre l’objet (a) et les identifications. C’est pourquoi sa position ne peut pas être subjectivée, fût-ce dans l’énoncé d’une position éthique. Pas plus qu’elle ne peut se parler comme mission auprès des analysants en souffrance dans le transfert. Une obligation, celle de la rigueur, pas celle de l’engagement, rigueur dont l’expression est d’abord d’accepter que le sujet fasse de nous ce qu’il veut, d’incarner le rien autour de quoi tourne son existence – position de proximité avec le réel qui déplace la question de l’engagement personnel de l’analyste. L’acte du psychanalyste ne se décline pas dans le registre de la sublimation, sinon la jouissance en serait une composante, conformément à ce qu’énonce Lacan dans le séminaire L’éthique.

Cependant, quelques soient les arguments que j’avance, quelque chose résiste, arrêter d’analyser reste une idée incongrue, et nul n’envisage sérieusement d’interrompre ce qui ne s’appelle pas une activité professionnelle.

Pour échapper à ce qui se présente comme absolument contingent il reste la singularité ultime des modalités d’accès à une dimension de vérité, pas-toute certes, mais dont je peux énoncer les attendus dans ce qui se nomme habituellement une traversée. Que je fasse de cette traversée le point de passage de l’analysant à l’analyste n’implique pas, me semble-t-il, un effacement de la contingence de ma décision, sauf à me référer à une vocation, au sens d’un appel, celui d’un grand Autre dont je viens justement de me séparer.

Ici mon raisonnement est aporétique.

Invoquer une nécessité suppose l’hypothèse d’une reconfiguration possible, d’un réaménagement et donc d’un arrêt possible, sans pour autant considérer qu’il y a un retour aux modes antérieurs de satisfaction.

Affirmer qu’il s’agit d’une traversée implique l’impossibilité de revenir en arrière, et il resterait à préciser ce qui fait obstacle au retour. Jules César ayant franchi le Rubicon pourrait toujours repasser la rivière, mais il devrait assumer la conséquence de son acte, ineffaçable. Passer avec son armée au-delà de cette ligne symbolique constitue une agression irréparable contre la République de Rome. Le franchissement modifie la perspective, l’action devient un acte.

Quoiqu’il en soit, dans ce que nous parlons en termes de devenir, il paraît difficile de concevoir un accès sans traversée. Sans quoi nous serions dans le domaine du projet et de la continuité ; l’inconscient implique une barre, une perte, une perte d’être, incompatible avec la subjectivité projetée que suppose un devenir pensé comme choix, professionnel par exemple.

Entre continuité et perte je cherche le passage.

J’évoquerai ici un rêve que j’appelle rêve d’extinction : je suis assis à une table face à ma femme ; il n’y a pas de décor , je lui parle ; progressivement ma voix s’éteint, mon débit ralentit, je deviens inaudible ; mon corps mollit et puis tout s’éteint ; j’ai du mal à décrire la fin de ce rêve ; c’est du noir, du silence, du rien, du rien de rien, pas même le souvenir que quelque chose a existé, rien d’extérieur au noir qui m’autoriserait à dire : là il n’y a rien, ou je suis mort ; le rien absolu.

Il y a plusieurs entrées à ce rêve, mais je me dis que ce rien n’est pas le manque et que le noir n’est pas la mort, qu’il n’y a aucun espace pour loger un sujet barré et que cette extinction, que j’ai prise pour l’ultime destitution est un leurre, un escamotage de ma division subjective. Ce rêve n’est pas angoissant et je suis étrangement serein. Ce moment d’extinction, loin de me faire plonger dans l’horreur du vide et du non-sens, est un point d’arrêt. Le rien de rien de ce rêve efface le désêtre.

Puis-je évoquer ici Lacan page 801 des Ecrits dans le commentaire qu’il fait du « Wo es war, soll Ich werden » de Freud : « …entre cette extinction qui luit encore et cette éclosion qui achoppe, Je peux venir à être de disparaître de mon dit .» Ce que masque mon rêve c’est cette oscillation entre ce qui s’absente et ce qui pourrait advenir.

Et je regarde maintenant ma question : « Puis-je m’arrêter ? » et le désir qu’elle suppose comme tentation de l’oubli de la mort, alors que la mort est la condition du désir. C’est dans cet espace entre mort et désir que Sisyphe se débat.

Sisyphe est un homme astucieux qui ne recule devant rien. Il obtint une source perpétuelle pour sa ville de Corinthe en dénonçant Zeus ; il échappa à la punition infligée par Zeus en enchaînant Thanatos, de sorte que plus personne ne mourait sur Terre. Hades fit libérer Thanatos et Sisyphe devait être le premier à succomber, mais il réussit à convaincre sa femme de ne pas lui rendre les honneurs funèbres. Sans sépulture, il n’avait aucun droit à séjourner au Tartare et obtint de repasser l’Achéron contre la promesse de revenir après avoir puni sa femme ; ce qu’il ne fit pas. Il reçut au jour de sa mort nécessaire après une longue vie un châtiment exemplaire : rouler une pierre jusqu’au sommet d’une colline dont il n’atteint jamais le sommet et recommencer ainsi pour l’éternité.

Ainsi Sisyphe est celui qui ne s’arrête jamais ; cette condamnation à une perpétuelle répétition est la conséquence de son refus de la mort. Du moins du fait qu’il ne la prenne pas au sérieux et montre de l’irrespect aux dieux des enfers.

La patiente dont nous parle Lacan dans son intervention à Louvain en 1972 a quelque parenté avec Sisyphe dans un rêve qu’elle rapporte à Lacan : « Elle a rêvé un jour comme ça que l’existence rejaillirait toujours d’elle-même, le rêve pascalien, une infinité de vies se succédant à elles-mêmes sans fin possible, elle s’est réveillée presque folle. »

Lacan affirme dans cette même intervention : « La mort est du domaine de la foi… si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ; néanmoins ce n’est qu’un acte de foi. »

La répétition dans laquelle Sisyphe se trouve pris n’est pas la répétition dont Kierkegaard fait l’apologie, celle qui implique une perte initiale et la transcendance de cette perte ; il enchaîne les actions sans but, et ce « sans but » est sans commune mesure avec le hors sens auquel le sujet se trouve confronté dans les conséquences, non de l’existence de la mort, mais dans sa rencontre avec les semblants. Sisyphe n’est pas dans le désir, ni dans l’acte qui est son corollaire.

Ainsi le désir de s’arrêter comme oubli de la mort est-il l’aspiration à un acte, un acte dont Lacan nous dit qu’il est au commencement, reprenant les derniers mots de Totem et tabou. La formule de l’acte ? Un poème de Rimbaud, « À une raison » : « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie. »

L’acte permet au sujet d’accéder à sa division, je crois que c’est l’acmé de sa division. Ce n’est pas un faire, c’est un intervalle qui se saisit comme moment subjectif dans l’après-coup.

Passer à l’analyste est forcément un moment d’invention, un intervalle, un espace qui est de liberté, fondateur de l’acte. Je crois que c’est ce hiatus qui provoque l’enthousiasme. C’est ce moment de vide qui manque dans le rêve d’extinction, ce temps de suspension qui n’est pas rien. La passe serait ce temps qui permet un franchissement sans lequel passer de l’analysant à l’analyste ne serait que l’énoncé d’une différence qui se décline comme une tautologie.

Ainsi ma question initiale se déplace : il s’agit ni de devenir, ni de m’arrêter mais de savoir que j’ai commencé. Lacan fait dépendre l’existence d’un acte de ses suites. Formidable appel à la modestie en fait : pas d’assise narcissique à attendre dans la fierté de poser un acte ; c’est à recommencer, toujours. Je suis toujours dans l’attente de produire un analyste, dont l’acte ne se saisit que dans l’après-coup de ses effets, où déjà il est passé. Il n’y a pas un acte et la gestion de ses suites. Cet acte unique, fondateur de notre pratique, nous le devons à Freud qui de « Totem et tabou » à « L’homme Moïse et le monothéisme » a tué le père pour fonder l’ordre symbolique. Il y a l’acte à recommencer, toujours, et ces actes ne se totalisent pas pour faire expérience et fonder l’être de l’analyste. Citons Lacan : « La destitution subjective n’est pas moindre à introduire cette passe de ce qu’elle doive, comme la mer, être toujours recommencée. »

Où en suis-je arrivé de ma question ? Je réponds ceci ; plutôt que de chercher le sens de ce qu’est ma vie, de ce que je fais, y compris dans ma pratique analytique, je me mets aujourd’hui à la quête de cet acte qui pourrait fonder mon être, donc ma pratique, et dont je comprends que pour être authentique il ne peut que m’échapper. Entre continuité et perte, séparation et aliénation, dans un acte toujours répété, naît un sujet, un homme, un analyste. Naître à l’analyse c’est saisir que notre humanité, non chiffrable, non évaluable, émerge dans une vacillation qu’aucune assignation ne saurait figer.

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Le sexe de l’analyste et le transfert de travail

Marlene Belilos

Je me revois sur le quai de la gare de Lyon. Arriver à Paris, c’était forcément rencontrer Marguerite Duras, forcément. Était-ce vraiment ce qui m’avait amenée là ? Aujourd’hui, je m’aperçois que c’est plutôt le prénom de la grand-mère qui m’avait élevée et à qui j’en voulais tant, de prétendre occuper la place de ma mère.

L’analyste que je venais rencontrer était une dame âgée, ma grand-mère, pensais-je. De fait, elle avait l’âge de ma mère… le temps avait passé. Dans le transfert, longtemps je refusais qu’elle puisse elle aussi prendre la place de ma mère. Elle serait ma grand-mère et ce malgré ses dénégations. Je ne savais pas encore que sa place n’était pas ainsi déterminée. Je l’avais choisi au milieu d’une pléiade d’analystes de différentes écoles. Elle faisait une conférence à Montreux, à l’invite du Bloc-notes de psychanalyse. Son propos – et celui d’un autre membre de l’ECF, je ne le sus qu’après – tranchait par sa logique. D’ailleurs, le premier traité que j’achetais à Paris, fut un traité de logique.

Ce qui me manquait c’était les articulations.

Pourquoi une femme ?

C’était sur le conseil d’un ami psychiatre de Genève, un post-freudien. Je le dis car je me rends compte aujourd’hui, de ce qui nous sépare. « Ce sera mieux pour toi, tu résoudras tes problèmes avec ta mère » m’avait-il dit. Je mettrai du temps à comprendre que le sexe de l’analyste n’a finalement pas grande importance et que dans le transfert, devenu objet a, il sera tour à tour, un homme, une femme, l’Autre méchant, la gentille mère, le père perdu et que sais-je encore ?

Pour les besoins de l’analyse, j’avais retrouvé, une profession alors abandonnée, le journalisme. Une profession qui m’encombrera longtemps, de par sa proximité, pensais-je avec l’analyse. Mais je m’apercevrai assez vite, que cela n’avait rien à voir : faire raconter sa vie à une personnalité, toute dans le narcissisme, et écouter un patient est bien différent. D’articles, en piges, je pourrais ainsi payer cette dépense imprévue qu’est une analyse. Un ami m’avait prédit « Tu verras tu vas devenir analyste ». Je le détrompais, avec virulence.

Mais non, journaliste, je l’étais redevenue. Et peu à peu, j’avais quitté l’enseignement, une profession que j’avais adoptée aussi pour la facilité qu’elle m’avait permis d’élever ma fille.

Occuper la place de l’analyste, comment ça se fait ?

Mon analyste parlait du « transfert de travail à l’École ». Elle avait ajouté, « Lacan en parle peu, mais c’est la bonne voie. » Le transfert de travail, oui. Travailler pour l’École. Mais aujourd’hui ma question est : comment passe-t-on du transfert à l’analyste, à occuper soi-même cette place ? Comment se fait ce passage ? On en témoigne dans la passe, oui mais encore ?

Au Congrès de l’AMP, une intervention d’un collègue brésilien Romulo Ferreira da Silva, qui soulevait cette question m’a particulièrement frappé. Faire semblant avant d’occuper la place du semblant. Faire semblant a résonné pour moi et je me rends compte combien l’imitation m’avait longtemps tenu lieu d’identité, pas seulement pour la psychanalyse. Identification à l’analyste dans le transfert, dirions-nous. Pas au moi de l’analyste, non car un travail avait été fait.

D’ailleurs, pour plus de vraisemblance, je m’étais installée dans une rue attenante, et me proposais de passer toutes mes vacances à la rejoindre dans le Sud et pour le dernier ouvrage qu’elle écrivit, Eugénie Lemoine-Luccioni, puisque c’est elle dont il s’agit, j’étais là : « Travail d’amour. » Je l’ai relu pour préparer ce travail. C’est de ce travail d’amour qu’il s’agit, ce serait ça occuper la place de l’analyste.

Aujourd’hui, je pense que pour répondre à la question de ce qu’est le désir de l’analyste, on ne peut que le situer du côté de ce « désir inédit » comme le dit Lacan. « Tu peux savoir », disait-il.  J’entends ce « tu » qui peut désirer. Je n’attends plus d’imiter, de l’imiter. Je n’attends plus rien, d’ailleurs. Ce qui arrive c’est parce que je le désire, il y a un réel bien sûr. Mais je crois être sortie de cette position d’attente. « Dur désir de durer », disait-elle citant Éluard, cité par Lacan, ce serait cela passer à l’analyste.

Un patient récemment me disait qu’il était venu trouver une analyste, âgée. C’était moi. Il a déplié son malaise en plusieurs séances. Marié, dans le choix de sa névrose, à une femme qu’il avait choisi lui, parce qu’elle avait une vraie famille. Il venait de rencontrer une femme. Et cette fois, il voulut vivre avec elle. C’est elle qui lui conseilla d’entreprendre un travail analytique. A cette occasion il déplia sa vie, se mit à parler à sa mère, à son père. Il se découvrit une famille, ni moins, ni pire qu’une autre.

Cela avance vite. Il a changé de position par rapport à ses amis. Sa question : comment « me » faire valoir  dit-il. Je relève son « je ». Du côté de la parole nous sommes du côté de l’énonciation et non plus de l’énoncé. Je n’avais pourtant pas touché à sa jouissance. En contrôle, mon contrôleur qui est aussi mon analyste, me faisait remarquer, qu’il y avait à soulever quelque chose du côté de la castration. Ce que je m’étais pas avisé de faire.

Je m’aperçus que pour la première fois, je quittais ma position d’imitation, et que j’intervenais comme analyste. Cette castration qui est aussi bien celle de la femme que de l’homme, je n’y avais pas compris grand chose. Tout un pan de la vie de mon patient se déplia alors. Nouvelle fiction que nous abordons maintenant. Il a retrouvé une liberté. Et moi qui ai quitté une analyste femme avec qui je pensais être arrivé au bout, je sors de l’identification à mon analyste.

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Les Journées de Rennes se préparent activement dans l’ACF-VLB. A Angers une deuxième soirée se tiendra le 3 juin prochain. Monique Amirault, chargée de la mise en acte de ces journées à Angers, en donne les arguments dans l’interview ci-dessous

Angers

2ème soirée préparatoire aux Journées de l’ECF à Rennes

Au début du 21e siècle, comment naît le désir de l’analyste

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Pourquoi de nouvelles Journées de l’Ecole, à Rennes, à la suite de celles qui traditionnellement se sont tenues à l’automne à Paris ?

Monique Amirault : Ces journées de l’Ecole de la Cause freudienne, 8 mois après les précédentes, auront à les prolonger, à creuser le sillon inédit qu’elles ont ouvert et à en tirer les conséquences. Le thème en est simple, pragmatique. Il résonne pour les analysants qui ont choisi de faire de la psychanalyse d’orientation lacanienne la boussole de leur pratique. Il résonne aussi bien chez tous ceux qui s’intéressent à  ce qu’a d’énigmatique l’option prise sur la psychanalyse et la décision de certains de passer à l’analyste. Quel désir obscur peut bien pousser à occuper une telle place où l’analyste, comme sujet, n’existe pas, ne se « pare pas des plumes de l’analyste » pas plus qu’il n’y mobilise son inconscient ? Qu’est-ce qui peut déterminer quelqu’un à se faire rebut, suffisamment dépouillé, détaché, pour qu’un autre, un souffrant, puisse situer en lui la cause de son désir propre ?

La formulation du titre de ces Journées n’est pas sensiblement différente de celle des Journées d’automne. Qu’appelez-vous le désir de l’analyste ?

MA : Le titre de ces Journées prolonge et précise celui des premières. Il va permettre à une nouvelle vague de travaux de se déployer, dans le work in progress auquel ont donné lieu les Journées de novembre. Il en attaque le cœur par l’introduction d’un concept lacanien. Le « désir de l’analyste » n’est pas un vain mot. C’est un concept qui n’est pas à confondre avec le désir « d’être » analyste. Il en est l’opposé. Car il n’y a pas d’être de l’analyste. Le « désir de l’analyste », dit Lacan, est « d’obtenir la différence absolue », c’est-à-dire de faire surgir, chez chacun, ce qu’il y a de plus singulier, ce qui fait son style et aussi bien son sinthome et ne se compare pas, ne peut être évalué à la lumière d’aucun standard. Toute mobilisation d’un idéal, d’un préjugé, toute anticipation quelconque de la part de l’analyste ne seront qu’obstacles sur ce chemin.

La manière dont peut advenir ce « désir de l’analyste » se cerne et se démontre. C’était le pari de Lacan avec la passe, pari que continuent de soutenir les Ecoles de l’Association mondiale de psychanalyse, dont l’ECF fait partie. C’est un moment toujours inédit, inattendu, qui dans sa vivacité ne va pas sans humour et surprise. Le bien-dire qui en soutient la transmission en témoigne.

Ces Journées s’adressent donc aux analystes ? Ce sont des Journées professionnelles, en quelque sorte ?

MA : Pas du tout. La psychanalyse n’est pas une profession et nous verrons justement que son moteur est ce fameux « désir de l’analyste ». C’est un concept symbolique qui se situe de l’éthique analytique. Le grand succès des Journées d’automne, grâce au talent de Jacques-Alain Miller, a tenu justement à l’arrivée de nouveaux venus, de jeunes analysants, éveillés à cette question dans le rapport intime à leur inconscient, et découvrant ce vent de liberté de parole, ces portes qui s’ouvraient à eux et leur proximité avec cette foule de témoignages, si loin d’un discours de type universitaire. Ils y ont découvert, en même temps que nous, une psychanalyse vivante, présente, qui a pu leur ouvrir des perspectives autrement plus enthousiasmantes que ce que propose aujourd’hui un pseudo discours de la science sous le nom de santé mentale, avec les techniques qui en découlent pour traiter les « troubles » inhérents à la vie elle-même et sans quoi l’homme ne serait qu’une unité machinique. Parmi ces nouveaux venus, beaucoup ont pu y prendre la parole, au même titre que les analystes jugés chevronnés et tous se sont enseignés les uns des autres.

Comment vont se dérouler les Journées de Rennes ? Et qu’en est-il de cette soirée préparatoire à Angers ?

MA :Le pari est fait que l’inédit, le nouveau, seront aussi au rendez-vous à Rennes, avec des manifestations culturelles parallèles. Vous pourrez  trouver toutes les informations à ce sujet sur le site et vous y inscrire dès maintenant   https://rennes2010.wordpress.com/

A Angers, il ne s’agit pas d’attendre passivement l’événement, mais de nous rencontrer afin d’échanger et de converser sur la manière dont les premières Journées ont résonné pour chacun et les conséquences qu’elles ont eu, les questions et les trouvailles qu’elles ont fait émerger. Ici, un certain nombre ont proposé des interventions au comité scientifique des Journées de Rennes. Comment cette décision est-elle née ? Comment peut-elle éclairer sur  le « désir de l’analyste » ? L’impact des Journées de novembre se fait-il sentir sur le rapport à l’ACF et à l’Ecole ? En a-t-il modifié quelque chose ? Les jeunes s’éprouvent-ils moins éloignés de ces questions ?

Il s’agira, à Angers, de s’avancer dans cette brèche ouverte par Jacques-Alain Miller pour renouveler notre mode de présence, faire vibrer les problèmes contemporains à la lumière de la psychanalyse, comme ce fut le cas récemment avec le colloque sur le crime qui s’est tenu à la Faculté de Droit, rendre la psychanalyse toujours plus agalmatique et favoriser le discours analytique et le lien social qui s’en instaure.

Rendez-vous donc, à la bibliothèque anglophone, à Angers,

Le jeudi 3 juin à 20h30

pour débattre de ces questions dans une conversation orientée vers les Journées de Rennes du  10 et 11 juillet prochain.

Entrée gratuite, ouverte à tous !!

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« Manger son dasein »

Valentine Dechambre

À la fin du XXe siècle, je « forçais » la porte d’un analyste, à qui j’adressais mon intention de devenir analyste. « C’est dans l’analyse que vous en obtiendrez une réponse », m’entendis-je répondre, dans une invitation à mettre au travail un symptôme que cette intention recouvrait. L’interprétation de l’analyste permit ce premier franchissement : j’entrais en analyse, parce qu’en réalité, je souffrais beaucoup.

Cette posture de maîtrise à l’entrée de la cure indiquait une position féminine en souffrance, qu’un symptôme mental s’employait à museler d’une façon radicale, un « ne rien vouloir entendre du corps ». Longtemps dans l’analyse, je rêvais d’une résorption sans reste du corps dans le symbolique, un corps vécu sur le mode d’un toujours beaucoup trop lourd… Jusqu’au moment, bien des années plus tard, où c’est le corps-symptôme lui-même qui finit par faire entendre son incurable et vivant refus de se laisser absorber dans un tout.

Mais c’est un peu avant, au tout début du XXIe siècle, que se dévoilait le désir de l’analyste grâce à une interprétation de l’analyste. Je me souviens de cette séance comme d’un moment de passage, celui d’une position de surdité – à quoi contraint cet Autre qui atrophie l’ouïe du névrosé – à une ouverture et à l’accueil de ce qui ne peut pas s’entendre au règne du symbolique. Dans sa conférence à Tokyo, en 1971, Lacan disait : « Nous en sommes toujours là, il y a une façon d’entendre qui fait que nous n’entendons jamais que ce que nous sommes déjà habitués à entendre […], ce que nous n’avons pas déjà appris à entendre, nous ne l’entendons pas ». Je proposerais qu’il en va ainsi du désir de l’analyste, de sa « naissance », dans une cure.

Je déposai à l’analyste l’événement suivant : « Une étudiante éducatrice est venue me parler, à la fin d’un cours de philosophie que je fais sur la psychanalyse, où j’évoquais une situation de ma pratique avec un enfant dans une institution. Elle m’a questionnée, avec une curieuse impatience, sur ma pratique – si c’était celle d’une éducatrice ou bien, plutôt, celle d’une analyste. » Cette curieuse impatience, ajoutais-je, n’était pas nouvelle chez cette étudiante, pour qui je sentais être l’adresse de quelque chose que je ne comprenais pas et qui m’importunait.

« Vous n’entendez pas que c’est une analyse qu’elle vous demande ! » Cette interprétation de l’analyste eut l’effet d’un réveil : la réponse à mon « vouloir devenir analyste » arrivait là, à l’envers… Soit là où je ne l’attendais pas, où je n’avais pas pu, pas su l’entendre, dans ce lieu vide de toute intention.

J’avais interprété, dans ma surdité fantasmatique, l’intervention de l’étudiante à l’endroit de ma position du côté d’une imposture qui me rendait sourde à l’interprétation… analytique d’une demande, du côté de l’analyste. L’idéal du « vouloir devenir analyste » s’effondra à ce moment là, dévoilant un désir jusque-là ignoré, que cette jeune étudiante avait indiqué et que l’analyste avait nommé et fait résonner.

L’allègement que je tirai de cette séance fut proportionnel au poids que je ressentis alors, dans le corps, du côté d’un « manger son dasein ». Cette formule heideggérienne de Lacan, qui m’a toujours paru énigmatique, et sur laquelle j’avais tant disserté, dévoila à ce moment précis la nature de la nourriture en question : non pas celle, abstraite, d’un concept métaphysique, mais celle d’une position, d’une responsabilité nouvelle : avoir désormais à répondre du désir de l’analyste, dont je décidai à ce moment précis de le vouloir – soit d’en assumer les conséquences.

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Vers un sinthome

Josette Amirault

Le temps de la séance ne dépend pas plus de la montre avec un sujet psychotique. Elle est fonction de la direction de la cure : qu’il puisse traiter le réel autrement.

Cet homme vint me voir il y a une douzaine d’années. L’orientation sado-masochiste de la relation qu’il entretenait, de week-end en week-end, avec sa partenaire, ses pulsions sadiques envers cette femme qui lui semblaient se substituer à la place de tout sentiment envers elle, cela ne correspondait pas à l’idée qu’il se faisait de l’amour. Or, il voulait construire, avec une femme, une relation amoureuse. Je le reçu en face à face pendant environ deux ans à raison d’une fois par semaine. Il arrêta, convaincu d’avoir mené son analyse à sa fin car capable d’une relation moins délétère avec les femmes, au moment où il venait de rencontrer une nouvelle compagne.

Il revint, plusieurs années plus tard, confronté à la séparation qui se dessinait d’avec cette même femme dont il a un très jeune fils. C’était dur, disait-il, car elle l’avait trompé. Il l’avait mise à la porte et était envahi d’une violente rancœur. Il ne supportait pas non plus qu’elle lui ait pris leur fils. Il en parlait avec une sombre froideur. Cette tranche-là s’étala sur une dizaine de séances.

Fils d’un militaire hautement gradé mort à la guerre alors qu’il n’avait que trois ans, il fut élevé par sa mère. Devenu avec ce décès l’homme de la famille, il était attendu de lui que, comme son père et son grand père, il entre à Saint-Cyr, soit un brillant militaire, et que, comme eux – c’était une conséquence logique pour ce sujet – il meure courageusement à la guerre. C’est la scansion de la dernière séance que je vais rapporter car elle signe la construction singulière de cet homme, qui lui permet de mettre fin à cette seconde tranche d’« analyse ».

Ce jour là, il se demande pourquoi il vient à cette séance car, maintenant, il est en paix avec lui-même. Maintenant, il est un homme responsable, me dit-il, alors qu’avant il était une moitié d’homme, une hommelette, comme on dit une femmelette. Il a écrit une lettre à son fils, s’il venait à mourir avant que ce dernier ne soit adulte, pour que son fils ait une parole de lui qui l’aide à savoir ce que c’est qu’être un homme – du moins, à savoir ce que c’était pour son père. Il a l’intention de faire la même chose avec ses filles d’un premier mariage et sa belle-fille, la fille de l’épouse dont il se sépare. Il pense que ça les aidera à être homme et femmes plus tôt, à ne pas attendre, comme lui, d’avoir quarante-quatre ans.

Le père de son père était officier et est mort très jeune, son père connut le même sort. Il pense avoir échappé à ce destin que lui réservait sa mère, par des crises d’épilepsie qui lui évitèrent l’école militaire Depuis qu’il a commencé un travail sur lui, me dit-il, il écrit ses réflexions, ses rêves. Il veut laisser une trace. « Laisser une trace, rompre la chaîne, c’est transmettre », ajoute-t-il.

Je me suis levée.

Quelques années plus tard ce sujet revint pousser la porte de mon cabinet. Il ne s’était finalement pas séparé de sa femme car il avait changé, et cela avait eu des effets sur elle. Ces années avaient été heureuses. Mais maintenant, ça n’allait plus, il était convaincu que son épouse le trompait et lui mentait en l’assurant du contraire. Il la surveillait, l’épiait, l’interrogeait constamment. Il éprouvait une colère meurtrière. Cette troisième série de séances le conduisit à une séparation paisible. Ils purent entretenir de bonnes relations, ce qui lui semblait très important pour l’équilibre de son fils. Lorsqu’il décida de ne plus revenir, la colère meurtrière l’avait lâché, car, conclut-il, ils étaient très différents.

Cette fois encore j’avais tenté de valider son effort de capitonnage de la jouissance. Œuvrant avec lui, me laissant surprendre, je saisissais les signifiants susceptibles de s’ériger en S1 capables de lui faire barrage, je tentais de contribuer à les consolider s’ils semblaient fragiles, je m’emparais des occasions que je repérais d’introduire une coupure entre lui et le grand Autre jouisseur, de le décoller de l’autre, de parler sa langue privée, selon son discours, selon les séances, de façon à ce que son élaboration de savoir se sépare de la vérité de l’inconscient [1]. Ici, à la fin de cette série de séances, le signifiant « différent » introduisit une coupure et le sépara à la fois des rets de la relation a-à et d’un Autre jouisseur.

Il y a trois ans, il s’adressa de nouveau à moi lors de deux séances. Il venait de découvrir la foi et son attirance pour la vie monacale était forte mais jusqu’à sa majorité, son fils avait besoin de lui. Il espérait, cependant, pouvoir aussi se consacrer à la parole du Christ par un accompagnement spirituel et par un engagement dans la société au travers de visites aux prisonniers et de SOS amitié, par exemple. Il semblait résigné.

En reprenant ses mots, en m’appuyant sur ce qu’il m’avait exposé, je lui dis qu’il me semblait, si j’avais bien compris, que, lors de ses séances antérieures, il avait mis en évidence que « transmettre » était quelque chose d’important pour lui, qui le concernait vraiment – transmettre à son fils, mais aussi aux autres tel que j’entendais qu’il m’en parlait aujourd’hui.

Il eut l’air content, et me dit : « Je ne l’avais pas vu comme ça mais en effet, c’est “transmettre”, c’est clair maintenant. » Un grand sourire éclaira son visage.

Trois années s’écoulèrent donc. Cette semaine il me rappela. Je lui donnai rendez-vous. Au moment où j’écris ce texte je ne l’ai pas encore reçu.

À chaque tranche d’analyse, les certitudes délétères de cet homme sont bordées par des S1 et perdent ainsi de leur force. Deux d’entre eux émergèrent en un relief singulier, fruit du travail commun : « transmettre » fut énoncé par ce sujet, repéré et repris par l’analyste. « Différent » fut énoncé par l’analyste qui le lui proposa en le présentant comme issu de ce qu’il lui semblait avoir compris de ce que lui-même énonçait. Il l’entendit ainsi et le fit sien.

[1] Éric Laurent à la Convention d’Antibes : « La fin de l’analyse consiste, pour un sujet psychotique, à séparer ce qui est du côté de l’élaboration de savoir où se trouve le sinthome, de la vérité de l’inconscient. Le sinthome est désabonné de la vérité de l’inconscient. »

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« Au XXIe siècle, comment nait le désir de l’analyste ? »

Estelle Bialek


Dernièrement, un prétendant à l’analyse est venu me faire part de son embarras. Nouvellement installé dans la région depuis trois ans, pour cause de mobilité professionnelle, il en était venu disait-il, à devoir s’adresser à une troisième analyste, pour poursuivre sa psychothérapie, car « il était au bout du rouleau ». Cela faisait trois ans qu’il hésitait, effrayé qu’il était de devoir partir à la recherche d’une nouvelle analyste, car « c’était une engeance pas possible » la plupart du temps,  mais il devait s’y résigner. Il avait tiré mon nom dans l’annuaire des PTT, parce que j’étais la troisième de la liste, et que j’étais une femme (Est-elle ?). À ce propos, je répondis par un air étonné.

En effet, il ne pouvait parler qu’à une femme, assuraitil.  Il avait été terrorisé par son père pendant toute son enfance, malgré de très grands efforts pour lui plaire, mais celui-ci n’était jamais content. Son père avait gravi tous les échelons de sa profession, du bas de l’échelle jusqu’à la direction d’entreprise. C’était un self-made-man assez connu,  qui avait eu le culot d’amener une fois sa maîtresse à la maison, en la faisant passer pour une collègue. Mais il les avait surpris dans le garage, en train de s’embrasser, sans qu’ils s’en aperçoivent. Il n’avait rien dit, bien sûr.

« Une femme, en effet, pourquoi pas… mais pourquoi une analyste, puisque vous voulez faire une psychothérapie ?

— Eh bien, parce qu’avec mes deux précédentes analystes,  j’ai fait des progrès.

— Et quels progrès, pensez-vous avoir accompli ? » Avec la première analyste, il pensait avoir réussi à contrôler son agressivité à l’égard de ses enfants. Il les frappait durement, quand il rentrait du travail, parce qu’ils étaient mal élevés, impolis et insolents. Il délaissait l’éducation de ses enfants, remise à sa femme qui ne travaillait pas, et ils étaient devenus le centre de son existence, ses petits chéris, aussi les cognait-il, sauf le dernier : « Celui-là, je faisais comme si il n’existait pas.  J’en ai honte maintenant.

– Et alors…?

– Eh bien, j’ai arrêté de frapper. Mon analyste me disait : quand vous sentez la fureur vous envahir, sortez faire un tour. Et j’ai fini par arrêter.

— Bien…et avec la seconde analyste ?

— Avec ma seconde analyste, il s’agissait de ma femme, qui me mène la vie dure. Jamais contente, elle dit que j’ai ruiné sa vie. Elle refuse les relations sexuelles depuis longtemps, au moins dix ans. Quand je lui demande pourquoi, elle dit qu’elle veut se protéger, que je lui ai déjà fait assez d’enfants comme cela !

— Ce n’est sans doute pas seulement une méthode de contraception…?

— Je crois qu’elle veut m’embêter. À l’époque, j’ai tenté le divorce, pour la contraindre à accepter, mais elle a fait une tentative de suicide, pendant que j’étais là. J’ai tout de suite appelé les pompiers. De toutes façons, je ne pouvais pas divorcer, mes enfants étaient trop petits.

— Bien…et maintenant, quel est le problème ?

— Eh bien maintenant, rien ne va plus. Mes enfants sont devenus grands, ils ont quitté la maison pour suivre leurs études, et ils me font payer cher les coups qu’ils ont reçus. Et ma femme va finir par me ruiner, car elle se fait prendre en charge par trois psychothérapeutes différents.

— Trois thérapeutes, simultanément ?

— Oui, afin de prendre le meilleur de chacun.

— C’est tout…?

— Non, j’avais un poste de direction dans mon travail, et on vient de me rétrograder, sur place, avec tous les gens que je dirigeais, je ne peux pas le supporter.

— Sans doute…nous reparlerons de cela, la prochaine fois, si vous revenez me voir. »

La fois suivante, il s’est allongé d’emblée sur le divan,  en arrivant dans la pièce. Je l’ai laissé faire. Et il m’a dit, qu’il était revenu me voir parce que sa migraine avait disparu après la séance, sans avoir pris de médicaments. Il souffrait depuis des années, d’une migraine tenace, qui « le mettait sur le flan », et qui résistait à tous les traitements médicaux. Il pensait que c’était un effet de la séance. Après cela, il m’a parlé de son travail, qui était harassant, car il devait être au courant de tout, afin d’éviter tous les traquenards, car il devait rendre des comptes à sa hiérarchie.

En sortant, sur le pas de la porte, je lui ai demandé : «Pourquoi, vous êtes-vous allongé, en arrivant ?

— Oh ! J’ai pensé que j’en avais le droit, puisque j’en suis à ma troisième analyse.

— Oui…mais encore ?

— Écoutez, je ne peux pas parler en face-à-face, je suis beaucoup trop laid. Et ne me dites pas le contraire ! » Cette « analyse » s’est poursuivie pendant trois ans, et s’est arrêtée pour cause de mobilité professionnelle, mon analysant ayant réussi à obtenir un poste de direction dans une autre région. Entre-temps, il avait quitté le domicile conjugal, et il avait pris une maîtresse, à la suite d’une interprétation qui lui permettait de s’égaler à la jouissance du père. Je passe sur les péripéties de la séparation du couple. Il m’avait répondu après cela, en arrivant à sa séance : « Ça y est, je l’ai fait, c’est vous qui l’aurez voulu ! »

Il ne croyait pas si bien dire. Le désir de l’analyste, c’est ce que l’on attend d’un analyste. Ce désir, l’analyste doit le vouloir, car il va à la rencontre du réel de la jouissance dans l’inconscient de l’analysant.

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How I met Lacan

Béatrice Landaburu

Étudiante en maîtrise d’histoire contemporaine, je m’inscrivis aussi en seconde année de psychologie. L’ennui, la tristesse m’accompagnaient, les livres, le savoir m’apaisaient. J’étais déjà en analyse, chez un dit-lacanien. Des amis m’entrainèrent à participer à un séminaire. Celui-ci se faisait au Café des Arts, où nous avons convié nos amis twitters pendant le RI3. À ce séminaire, je croulais sous le verbiage d’un autre dit-analyste qui pérorait, se prêtait à des associations libres, dans un « Lacan-a-dit » holophrasé agaçant. De clinique, pas, sinon la sienne exposée à ciel ouvert dans une jouissance pas voilée. De cette logorrhée, rien ne m’est resté en mémoire, sinon ses pantomimes.

Ce fut une première rencontre ratée.

Un silence de plomb s’était installé dans mon analyse, très standardisée en deux fois trente minutes tapantes. « Bonjour », « au revoir », puis un jour « L’analyse, ce n’est pas du bavardage » seuls mots de l’analyste, avaient renforcé mon symptôme, le mutisme. Je partis dans le décor, en voiture. J’en parlais en séance… même silence, mêmes trente minutes. Je quittais cet analyste ce jour-là, pas la psychanalyse lacanienne.

Je vins frapper chez celui qui est devenu mon analyste. Le premier contact fut inoubliable : il énonça la règle fondamentale de l’association libre, que je connaissais pourtant, me signifia que je n’étais pas pour rien dans cette mortification de l’analyse.

Quelques semaines plus tard, il me parla des réunions rue Montyon, où se réunissaient les praticiens de la psychanalyse et ceux qui voulaient l’étudier. Je voulais apprendre, j’y allais. À ma demande, il me proposa deux lectures pour l’été, le Séminaire I et « La technique psychanalytique ». Manœuvres de l’analyste indispensables qui me permettaient d’accéder à un « Scilicet », première étape pour que se décide une responsabilité par rapport à « Que vuoí ? ». Le titre d’un article aimanta mon début de cure : « Douleur d’exister, lâcheté morale ». Je m’insurgeais…

C’est la rencontre avec cet analyste, plus exactement avec son désir d’analyste qui m’a permis de rencontrer Lacan, son enseignement et son éthique. Pas d’éthique sans acte.

L’ECF est en plein changement. Sans suivisme stupide, c’est à cette École que j’adresse mon travail et dans cette École que je souhaite entrer.

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« De tordre ce tort et ce désir… je ris »

Mariana Alba de Luna Chourreu

Il y a un temps pour tout. Pas avant, ni après. Juste UN temps quand il le faut !

Il est temps alors, de reprendre le chemin de ce texte qui, il y a quelques mois, avait surgi comme une tentative de réponse à une envie de « devenir ». Il est temps pour moi de me saisir de nouveau de « l’offre » qui nous est faite, et ça avant que le train passe ! Je ne veux plus comme Pénélope, rester dans la gare regarder passer les trains ! Cette envie de devenir analyste est toujours ponctuée du désir de témoigner et avant tout de l’envie de savoir ce qu’il en est en moi, de ce désir analyste. Mais non plus comme un devenir, mais comme un réel qui insiste là, maintenant. Alors votre « offre », cher Jacques Alain Miller, m’intéresse toujours et ça « cause toujours » pour moi !

Le fait d’avoir pu écrire déjà ce premier essai de « bien-dire », à la mesure logique de ma position, pour les Journées d’automne, avait été un moteur nouveau dans ma cure et un tournant décisif quant à mon désir d’aller encore plus loin avec cette École et avec moi-même. J’ai retrouvé une joie dans mon travail analytique qui se renouvelle en une fin de fin d’analyse, qui évolue vers un nouveau, qui pour le moment ne finit pas de finir, ni de « passer » ni d’être toujours nouveau ! Je suis encore là dans mon travail à traiter tous ces déchets !

…En rêves, j’ai vu la version « à la mexicaine », que cette École était pour moi una grande tortilleria pas loin de chez-moi cercas de mi casa, devant laquelle j’étais plantée là ! Face à une production joyeuse de saveurs et de savoirs de toutes tailles ! Je pouvais si je le voulais, prendre une place pour y croquer dedans. Je pouvais si je le voulais, choisir una tortilla juste à la mesure de mon envie ! … Mais dans la grande tortilleria de ce rêve, il y a aussi à confronter ma peur et crainte d’avoir « tort ». Et c’est le risque que l’on prend si l’on ne saisit pas l’École comme un grand semblant. Et bien, à la « tort y j ris » et j’irais ! Je ris joyeuse d’y aller tortiller et tordre encore ce tort et ce désir …et d’aller voir si j’y suis !

Rennes me va si bien et le printemps aussi ! Alors chiche ! Oui, je veux un men-tor ou une woman-tor ! Mais pas un menteur, ni un Tor[1] ! …Oui pour un mentor, un moteur, un tuteur, un traducteur, un collaborateur, un explorateur avec qui tor-tiller et refaçonner de la bonne manière ce désir encore là !

Il y aura peut-être alors pour ces déchets un printemps,

et entre l’aube et les lunes

qui restent à venir,

…encore un renouveau.


[1] « Tor est un logiciel libre et un réseau ouvert qui aide à la défense contre l’analyse de trafic, une forme de surveillance de réseau qui menace les libertés, en vous aidant à rester « anonyme »… » in google.( -Ah non !! Pas de désir anonyme ! )…Mais Tor : ça peut être aussi : « The Onion Router » : « le routage en oignon» (-Bon, ça a l’air plus drôle ça ! éplucher son oignon inconscient avec un mentor qui nous route ! Allons-ci !)

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La passe, munitions contre la critique obsolète ?

Stella Harrison


Rappelons ici la teneur d’une grinçante soirée de l’ECF en 2003 : l’invité, Didier Eribon, n’avait eu de cesse d’attaquer la psychanalyse, et particulièrement Freud et Lacan, en raison de leurs théories dites homophobes. Il se trouve qu’il n’avait mentionné alors que les premiers Séminaires de Lacan, La relation d’objet et Les formations de l’inconscient, Séminaires qui prennent appui solidement sur l’Œdipe et le Nom-du-Père.

Judith Butler, en amont, ne fut-elle pas elle-même figée à ces premiers Séminaires de Lacan, en s’embarrassant de ce concept « figé » qu’était à ses yeux le symbolique de Lacan ? Et que dire de Michel Tort, qui, en son harcelant ouvrage contre la doctrine lacanienne, Fin du dogme paternel, soulignait les difficultés de « la vulgate lacanienne » à proposer une nouvelle version du père, crispés qu’elle serait à défendre la forteresse d’un « Symbolique » en péril ?

Sans doute le choix d’objet homosexuel fut-il longtemps pensé par Lacan comme une mauvaise sortie, un mauvais traitement de l’Œdipe, un arrêt dans son développement. Dans La relation d’objet, Lacan cherche à structurer les étapes du devenir homosexuel de la jeune fille. Dans Les formations de l’inconscient, il évoque l’idée de « guérir l’homosexuel ». Dans  «…Ou pire », il dit que l’homosexuelle ne peut que «  bla-blater » le discours analytique, car, à l’instar des Précieuses, elle « soutient le discours sexuel en toute sécurité (…), fait fi du phallus,(…) et s’attache à briser le signifiant dans la lettre ».

Nous avancerons cependant que c’est grâce à Lacan, et très précisément grâce à son dernier enseignement, que l’homosexualité peut être pensée au pluriel.

« On voit qu’il y a autant d’homosexualités qu’il y a d’étoiles dans le ciel… » disait Éric Laurent, lors de journées de l’ECF 1. en 1986. Et, moins de vingt ans plus tard, l’intitulé du stage du Collège freudien consacré au thème de l’homosexualité s’écrivait au pluriel, « Les homosexualités ». Il s’agit donc bien pour nous d’un parti pris, du « pluriel » depuis longtemps sur ce thème. Ce point est important car il signe notre position éthique, clinique, politique, même si, hors de notre Champ, certaines revues, comme la Revue Française de Psychanalyse 2 par exemple, évoquent aussi « les homosexualités ».

Un pas de plus : c’est avec le Séminaire Le sinthome que l’orientation lacanienne ouvre de nouvelles voies pour penser les homosexualités, la nécessité du pluriel trouvant ici son fondement.

Jacques-Alain Miller a pu dire que « la position de l’analyste a changé en quarante ans. On recherche, à présent, le point d’accord du patient avec lui-même, avec son être, afin que le sujet puisse « accéder à sa meilleure impasse », « acquérir son meilleur « savoir-y-faire » avec le symptôme » (La Cause freudienne n° 55, page 87)

Dans son Cours du 1/12/04, J.-A. Miller évoque la passe, pensée à partir du Séminaire Le sinthome. Dans l’analyse, on se soulage dans la mesure où on peut lire l’événement de corps, on achoppe toujours sur de l’illisible, même quand l’analyse est très longue. « Et dans l’analyse, tout converge sur l’illisible, qu’on cerne, qu’on serre, qu’on isole, et pour obtenir ça, il faut avoir poussé l’analyse jusque dans ses derniers retranchements ».

La clinique , dans Le sinthome , ne s’appuie plus sur le Nom-du-Père, mais sur ce qui en tient lieu. Nous passons ici de l’objet a au sinthome, d’une logification à une autre. À chaque étape, ( Cours du 19/01/05), c’est une incidence clinique qui bouge : « On est au point de reconnaître dans le symptôme un élément qui concourt à l’objectif de la persévération dans l’être (…) Il y a une homéostase supérieure, (19/01/05), qui inclut la jouissance et le plus-de-jouir, l’excès, ce qui dérange le credo lacanien. « Tout heurt, toute fortune est bonne au sujet pour ce qui le maintient.. » Il ne s’agit plus dans une analyse alors d’opérer sur la vérité avec le même appareil à déchiffrer.

Il s’agit moins alors dans une analyse, de déchiffrer le symptôme que d’en faire usage. Dans le troisième cours consacré à ce séminaire, J.-A. Miller nous dit de l’analyse encore qu’elle est « une voie pour trouver le bonheur à partir de son symptôme. Et, précise t-il, « dans l’analyse, ça tient à ce qu’on trouve du vouloir dire dans l’événement de corps ».

Pour conclure :

N’est-ce-pas aussi grâce aux précieux dispositifs possibles de la passe que pourraient se recueillir des réponses vives, vivantes, aux questions qui relèvent de notre posture face aux homosexualités ? De quelles pratiques pouvons-nous témoigner ? Les homosexualités, aujourd’hui, soulèvent-elles des questions qui ont à voir avec l’usage du Nom-du-Père ? Comment répondre aux attaques qui assaillent les psychanalystes, et particulièrement l’enseignement de Lacan, sur ce terrain ?

1 Laurent, E. La Cause freudienne N° 17, « La sexualité et les défilés du signifiant », 1986.

2 Revue française de psychanalyse, janvier 2003, « Homosexualités » .

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Le contrôle aux Journées de Rennes ?

Anne-Marie Le Mercier

Suite au propos de Monique Amirault dans le blog du 2 décembre, nous pourrions en effet montrer dans nos journées rennaises comment le contrôle fait partie intégrante de la formation de l’analyste qui jamais ne pourra se résumer à une formation professionnelle. La contingence y tient sa place tout autant que dans l’analyse, et les incidences de la tuché sur l’inconscient au travail portent à conséquence, tant pour l’analyste en contrôle que pour l’analysant dont il est question. Lorsque ce qui se fait entendre en contrôle s’élève à la dignité de l’interprétation, il y a de l’analyse. La formation de l’analyste, que son analyse soit ou non terminée, requiert que reste ouverte la brèche de l’inconscient, afin que le désir de l’analyste opère entre tous les acteurs en jeu.

Une séance de contrôle eut pour effet de déchirer le mensonge d’une identification phallique, levant ce qui, de mon côté, faisait résistance.

J’évoquais le cas d’un adolescent de treize ans envahi par une pulsion de mort qui arrêtait toute expression du désir, au point de le faire bégayer à la moindre parole qui l’engagerait un peu. Ce garçon avait perdu sa mère deux ans auparavant et son père était en passe de se remettre en couple, ce que ne lui pardonnait pas la mère de la défunte. Celle-ci gardait jalousement les cendres de sa fille unique dans un petit jardin intérieur aménagé à cet effet. Chacun devait donc en passer par la grand-mère pour se recueillir sur la tombe de la chère disparue.

D’un ton très vif et léger à la fois, mon contrôleur, qui était alors aussi mon analyste, m’indiqua qu’il était possible de faire savoir à ce patient et aussi bien à la grand-mère que, pour les petits-enfants au moins, il serait préférable que les cendres de leur mère soient au cimetière. Le ton tranchant avec lequel fut énoncée cette évidence me surprit, et sortant de la séance de contrôle, je m’aperçus que je respirais comme jamais, d’une façon très ample et légère à la fois. J’en fis part en séance ensuite et la réponse fit tomber l’identification dans laquelle je m’étais jusqu’alors complu : « La pierre tombale sous laquelle vous étiez restée s’est levée ». Ceci vint résonner avec l’insistance de l’insondable quête féminine qui s’était si longtemps accrochée à l’enfant perdue manquant à la mère. De cette petite fille, tôt disparue, la première tombe avait été reconstruite dans le jardin familial.

Le contrôle, croisant la cure, m’a délogée de ce qui m’empêchait de disposer de l’acte nécessaire pour permettre au sujet de s’orienter de la bonne façon, vers l’objet qui concentre la jouissance. Au delà de la signification en jeu, le ressort du virage fut le ton de voix de l’analyste, visant la satisfaction où le désir était retenu. La plainte sur le silence de la mère s’évida et je pus saisir ensuite, à la faveur d’un rêve de transfert, qu’une mère ne peut répondre sur la femme. Un autre chapitre put enfin s’ouvrir, celui où « le fantasme n’arrive là que de se trouver sur la voie du retour d’un circuit plus large, celui qui portant la demande jusqu’aux limites de l’être, fait s’interroger le sujet sur le manque où il s’apparaît comme désir » [ Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 638 ] L’objet, une fois déclinées ses diverses facettes de jouissance, creusa un vide, celui de « l’incompatibilité du désir avec la parole »[Ibid., p. 641], laissant toutefois un reste, comme une lettre marquant le corps, et le style de ma pratique aussi bien.

La cure de ce jeune garçon se poursuivit, le dégageant de la culpabilité liée à la mort de sa mère pour qu’il puisse s’affronter aux démons de la puberté, activés – entre autres – par le fait que son père choisissait une nouvelle femme. Il laissa à sa grand-mère l’objet dont elle ne pouvait se séparer, et me parla de ses préoccupations d’adolescent aux prises avec un corps qui le gênait pour aborder les autres, et surtout l’autre sexe. Les coups qu’il avait parfois du mal à réprimer se firent moins pressants tandis qu’il se défendait moins des remaniements du corps quand la pulsion s’y fait plus bruyante. Il ne bégayait plus dès qu’un désir se faisait jour chez lui ou chez l’Autre. Le deuil ne masquait plus l’énigme du sexuel.

Le contrôle n’est pas la cure, mais l’efficacité de ce qui s’y transmet tient aussi de l’éclair de l’acte, condition nécessaire de la psychanalyse, au sens où tout ce qui se rapporte au désir de l’analyste est analytique.

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Un désir inédit
Damien Guyonnet


Le syntagme « désir de l’analyste » demeurait pour moi, jusqu’à très peu de temps encore, obscur. Il y a quelques années de cela, las de lire et de relire en vain les chapitres du Séminaire XI qui en font état, rien ne venant s’éclaircir, je posais directement la question à celui supposé savoir : mon analyste. Il ne répondit pas, et pour cause… Le désir de l’analyste était donc un x. Je me suis contenté de cela jusqu’à ce que les dernières Journées m’amènent de nouveau à me confronter à cette question. Le désir de Jacques-Alain Miller ne constitue-t-il pas, grandeur nature, une incarnation de ce désir de l’analyste ? J’ai saisi en quoi ce désir est indissociable de la question de l’acte, qui lui-même participe de l’ouverture de l’inconscient. Ce fut fait lors des Journées par le témoignage, chez d’anciens ou d’actuels analysants, de la relation qu’ils entretiennent avec leur inconscient, qu’il soit transférentiel ou réel. Là encore nous avons une parfaite illustration de ce que vise le désir de l’analyste à savoir, la différence absolue, la singularité de l’énonciation chez le sujet, mais aussi la cause de son désir. Mais c’est également au sein même de la cure de l’analysant, comme chacun peut en témoigner, que la tuché a opéré, enclenchant ouverture et relance de l’inconscient, et produisant du nouveau.
Mais au-delà de cela, cette sorte de che vuoi à grande échelle qu’a fait surgir le désir de JAM et qui renvoie chacun à l’énigme de son propre désir, de sa propre cause, introduit selon moi, inévitablement, à une autre cause : celle de la Cause freudienne. C’est en tout cas ainsi que les choses se sont présentées à moi, pour finalement m’apercevoir d’une évidence (je le dis maintenant) : mon rapport à l’École reproduit une certaine position fantasmatique qui ne m’est pas inconnue…
Ceci m’amène à présenter trois propositions pour les prochaines Journées de l’École qui auront lieu à Rennes, les deux dernières s’inscrivant dans la continuité des journées de novembre :
– La question du devenir analyste pourrait-elle être aussi traitée sous l’angle plus particulier d’un désir qui tient sa spécificité de son transfert à l’École de la Cause ?
– Puisqu’on ne fait pas d’analyse tout seul, il me semble essentiel que la « présence de l’analyste » (Lacan) à travers ses silences, ses interventions, ses coupures, en somme ses actes, soit encore plus questionnée et problématisée par les intervenants, en lui donnant une place plus centrale dans ses conséquences.
– Enfin, je souhaiterais que chacun puisse témoigner en priorité, non seulement de sa différence absolue, mais aussi des modalités de surgissement, au cours de son analyse, d’un « désir inédit ». L’orientation vers le réel est une orientation vers le singulier, mais aussi vers le nouveau…

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Réponses

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