Twitter

Passer par Twitter (2)

Jean-Pierre Klotz

@fources

Twitter continue à l’infini de toutes parts – même celles qui voudraient en sortir sans jamais y être entrées. On ne peut que s’interroger sur ce que, engagés dans la psychanalyse, chacun au titre de sa mise qui le dépasse, nous pouvons bien faire de ce nouveau « réseau social » qui pétille et virevolte. Il est toujours possible de « lurker » dans ce but (un lurker est un participant muet et passif qui contemple, allant même jusqu’à lire ce qui défile au long de la timeline où s’ébattent ceux qu’il suit, ses followings), mais il faut se « delurker » pour en être atteint, soit participer activement. Comme en analyse, le témoin caché ne peut rien en tirer qui vaille, à défaut d’y aller de ses tweets, de mettre des mots au bout de ses doigts sur le clavier, avant retour sur écran sinon à la bouche, ou la main à la pâte comme on dit dans la boulange. Il y a autant de manières de faire que de praticiens, et là aussi les imitations touchent rapidement leurs limites. Comment faire pour qu’elles arrivent moins vite, et qu’on puisse en tirer quelque chose ?

D’abord les informations, multiples, diverses, mondiales ou locales, toutes susceptibles de faire effraction. Rien de très spécifique, sinon la souplesse, l’agilité, la rapidité, mais Twitter n’a là rien d’exclusif. Plus avant, il y a ce qu’on diffuse soi-même, et nous sommes maintenant plusieurs à avoir là tâté du « twitt-reportage », par l’envoi de tweets au cours d’une conférence, d’un colloque, d’un congrès, d’un cours ou d’un meeting, chacun le faisant à sa façon, individuellement et sans concertation préalable, en direct ou en différé, mais toujours soumis à la contrainte sensationnelle des 140 signes. Impossible de tout dire, ni même toute une phrase, l’ellipse s’impose, l’incomplétude ne cesse de se poursuivre, malgré un souhait de cohérence, d’interprétation sobre, dans une transcription multiple, découpée, rapide voire quasi instantanée, transmise partout où il y a des followers, soit tout autour de la planète. Certains autres, pas moins dispersés, traduisent en temps réel et en langues multiples, et les blogs sont prêts dans la demi-heure qui suit l’évènement à présenter le reportage, éclaté, condensé et découpé en rondelles. Les lecteurs diront leur avis, mais je témoigne comme transmetteur twittique d’un puissant effet de néo-transcription décomplétée poussant à l’extraction d’arêtes discontinues de ce qui est entendu, utiles peut-être à d’autres, mais à coup sûr effectives et déconcertantes pour l’émetteur. La pratique est nouvelle, sûrement perfectible, déjà indispensable. Ce n’est ni de l’enregistrement, ni du filtrage, plutôt de la dilacération vive susceptible de laisser pantois de Calcutta à Buenos Aires, sans oublier Brive ou Saint-Dié où on s’y croit assez pour regretter encore plus de ne pas y être même si on s’y sent.

Mais cet aspect apparemment collectif de Twitter, son versant d’intérêt général en somme, n’est pas forcément le plus prospectif, même s’il rapproche. Divers canaux en suintent, certes, à partir des retours au transmetteur. Car Twitter vaut d’abord pour celui qui twitte, passant par le réseau pour trouver de quoi s’y lire dans d’autres conditions. J’ai glosé « classiquement » dans le papier précédent sur l’absence des corps. Mais il y a bien de la présence dans Twitter, celle de tous ces followers susceptibles de lire vos élucubrations fragmentées. On peut les éviter par des messages directs lu par le seul destinataire, ils sont parfois nécessaires, mais n’y subsistent de Twitter que ses 140 signes, et il n’y a pas à en abuser si on veut se servir de l’instrument. Ces interprétations forcément énigmatiques s’invitent dans les trous du court message au-delà de leur individualité. Et de ce qui court sur la timeline, il est possible de recueillir telle remarque, tel usage d’une référence, tel interprétation hasardeuse ou touchant juste, qui relancent, aussi longtemps et pour autant d’allées et venues qu’on le souhaite. On continue ou on s’arrête quand on veut, sans manquer d’être surpris ou même enseigné par ce qui surgit d’inédit pour vous d’entrechoquements qui n’ont le plus souvent rien d’académique. Ce continent, cet archipel plutôt (bout par bout, rien de compact si toujours limité), commence tout juste d’être exploré. Ces bouteilles, lancées dans une mer qui parfois se démonte, sont bues, voir dégustées par des inconnus ou des distants avec lesquels vous pouvez vous mettre à débattre sans les avoir jamais vus. Cela n’empêche pas, cela permet même peut-être l’établissement de liens inédits, plus hétéro qu’endogènes, parfois piquants, jamais réservés aux happy few de son petit cercle. La seule protection – mais elle existe même si elle est trouée – c’est le défilement rapide de la timeline, l’évanescence de l’avatar (la photo, le pseudo), la possibilité permanente d’arrêter de répondre et de questionner lorsqu’on trouve que c’est assez pour cette fois, sans que ce soit à tout coup une fin. Cette ouverture incessante, cette présence fluide et néanmoins inerte, induisent des modalités d’interprétation où l’équivoque peut prendre de la place. Un style symptomatique résonne avec ce que nous faisons de Twitter, en l’inventant au fur et à mesure. Mais le développer demande un autre papier, à suivre…

Quant aux effets produits, s’il y en a, il est après tout question de l’expérience analytique pour ceux qui s’y prêtent par ailleurs. Ils iront l’y reporter, chacun pour soi, s’ils le veulent, là où ils le faisaient avant – là où peut-être il leur viendra de le faire après. Twitter n’en est qu’à ses débuts, peuvent en surgir sans doute bien d’autres possibilités auxquelles nul n’a encore pensé… !

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Passer par Twitter

Jean-Pierre Klotz

Je « twitte » depuis plusieurs semaines avec assiduité, emporté par le mouvement ambiant, le XXIe siècle, les nouvelles technologies, leurs modalités inédites d’adresse, et – il faut le dire, car cela a compté, là comme en d’autres lieux – par l’invitation de Jacques-Alain Miller à s’y mettre. Je suis bien décidé à continuer : ainsi se formule pour moi aujourd’hui la morale (provisoire au moins) de l’histoire. L’une des vertus de Twitter est d’ailleurs que ce « gazouillis » ne fait pas histoire, car ça ne finit jamais, rebondit sans cesse, laisse aisément à croire que ça part dans tous les sens. Scansions et fuites se succèdent sans fin. Mais est-ce bien ce quasi-lieu commun qu’il vaut la peine d’en dire ?

Il s’y dit certes n’importe quoi. JAM l’avait supputé, même mis en exergue. L’imputer à charge pour qui se veut prendre le vent de la psychanalyse tombe pourtant mal, alors que l’un des énoncés possible de sa règle fondamentale est plutôt en résonance. C’est même sur un tel a priori qu’on spécule pour cueillir les achoppements, inerties de rencontres, fixations récurrentes, soit de quoi se fonder sur autre chose que sur des idées, mêmes séduisantes et présentant bien. La psychanalyse s’est ainsi construite, ouvrant une possibilité de ne pas systématiquement faire passer à l’as ce qu’il en est de l’inévaluable, de l’inquantifiable, du singulier du sujet effectivement rencontré et non seulement imaginé.

Mais quand même, ne manque-t-on pas de se dire, Twitter, ce truc ouvert à toutes les banalités, débilités, trivialités, petites restes déchus de la vie, cet outil qui tend à l’inculture, à la dispersion, à tous ces maux faisant hurler de nostalgie pour le paradis perdu de la « grande époque » où chacun se pâmait devant Lacan (époque aussi irréelle que le dit paradis, qui, pour autant que je m’en souvienne, et je ne suis pas des plus jeunes, n’a jamais existé), en quoi cela peut-il nous concerner ? Veut-t-on donner encore plus d’espace à ce qui nous étouffe, mange notre temps, retarde et entrave les peut-être sublimes ou subtiles élaborations théoriques, épistémiques, cliniques que le monde entier doit bien attendre sans le savoir, afin que la psychanalyse se remette à l’enchanter et obtienne les triomphes qui lui sont dus ? Ces billevesées ne sont peut-être pas aussi universellement obsolètes dans les esprits que dans les faits. Beaucoup considèrent sans doute les « réseaux sociaux » du Web 2.0 comme la lie, sans laquelle pourtant il n’est point de bon vin concret, même si l’amour de celui-ci suppose qu’on l’évacue. Les psychanalystes n’évitent pas les déchets, ils cherchent plutôt à les faire servir, comme eux-mêmes, ne serait-ce que parce qu’ils sont inéliminables, à condition d’être mis à leur place.

Voilà un premier point : Twitter doit être mis à sa place. Ce n’est évidemment pas celle de la cure (mais n’y aurait-il pas aussi dans cet ostracisme des relents nostalgiques de cure-type ?), cela pourrait néanmoins bien faire partie de la formation, en ce que la cure non-type n’est pas-toute et que Twitter est là, soit peut se rencontrer. C’est en quelque sorte un supplément, un décomplétant, un déconcertant, à usages divers. Après les inconvénients, les avantages, maintenant.

La spécificité de Twitter est qu’on s’y adresse en 140 signes (pas un de plus par « tweet », le couperet est radical) à chacun et à tous, ou plutôt sous le regard du plus grand nombre faisant choeur peu antique, mais aussi effectif que désarticulé. Il n’y a pas de hiérarchie, et ceux qui semblent tirer une troupe sont rapidement destinés à être dépassés – pas de leaders qui tiennent sur Twitter, seulement des protagonistes épars voués au désassortiment. Ils servent juste à entraîner de nouveaux participants à ce qui n’est pas un concert, mais un bruit – ce qu’évoque bien le terme de twitter, « gazouillis » en anglais – les plans sont toujours subvertis. Pas de maître donc, des vagues plutôt que des armées, des accès directs non strictement personnels (je ne parle pas là des Messages Directs, qui ne sont que des équivalents d’e-mails). Il en résulte une sorte de foire qui grouille et aussi emporte, non sans accoucher de perles inattendues à l’occasion, ouvrant à quantité de tentatives et de mises à l’épreuve pour qui veut bien les effectuer ou les saisir. Pas de dilution dans la logorrhée, les 140 signes forçant à la concision. On y tente, on y abandonne, on trouve fortuitement des interlocuteurs inconnus à l’autre bout du monde dans diverses langues (il y a même une fonction de traduction automatique).

Tout ceci peut repousser, non sans effets curieusement addictifs pour qui s’y frotte. On dit qu’il y manque le corps à corps, nécessaire à l’expérience analytique, ce qui est incontestable, mais il n’est pas question de l’y substituer. Par ailleurs, cette sorte de réseau fait partie de la condition subjective contemporaine, il ne s’agit pas de la fuir mais de trouver comment faire avec, comment y faire pour chacun avec son symptôme. Twitter est un formidable laboratoire qui permet d’obtenir des productions inattendues. Sa mise à l’épreuve par ceux qui le veulent bien en vue des Journées de Rennes vaut la peine d’être poursuivie, pour commencer, avec la participation du plus grand nombre, au-delà même des habitués de notre petit monde. C’est d’ailleurs déjà commencé.

Réponses

  1. […] This post was mentioned on Twitter by Caroline Pauthe, Caroline Pauthe. Caroline Pauthe said: Une nouvelle rubrique Twitter sur le blog de Rennes, inaugurée par un formidable texte de @fources: https://rennes2010.wordpress.com/twitter/ […]

  2. Twitter est une conversation à plusieurs, dans l’aridité et la précision du message : commentaire, lien, proverbe, mot d’esprit à chaque fois !!!
    Le lien créé par les mots échangés est un lien social, de « bavardes » (les hommes peuvent l’être aussi)… Bavarder concis donc…

  3. Vous dites bien Twitter Jean Pierre Klotz.
    L’idée de ballade, de glanage m’est venue récemment à propos de Twitter. J’ai alors fait référence au joli film d’Agnés Varda « Les glaneurs et les glaneuses ». Glaner des restes ,des petits bouts, des petites choses déposées là comme oubliées quelquefois .Elle glane Agnés pas seuleument des pommes de terre .Elle parle et surtout elle écoute ceux qu’elle croise avec un plaisir non dissimulé.Flaner et échanger pas seulement des propos du champ de la psychanalyse mais aussi de la musique des images et tutti quanti. Rencontres de hasard ou rendez vous de jeu, Twitter est autant cours de récréation que salle de cours dans une école sans maître.Chacun ne s’y engage et ne s’y risque que de son propre désir, sans contrainte. Et de surcroit; des pépites tombées de la cage des 140 signes ,des échanges croisés surréalistes, des bouts précieux d’information. A chacun de bricoler ou pas avec Twitter. Alors?Un effort de poésie?

  4. Peut-on être rebutée et séduite à la fois par Twitter ? Oui : rebutée par sa cacophonie, sa légéreté et son inconséquence ; mais séduite et amusée par ce bruissement continu, cette conversation spéciale, cette récolte de je-ne-sais-quoi et de presque-rien. Séduite par ce sentiment d’appartenir à un vaste réseau familier et étranger à la fois qui se délite et se reconstitue au grè du vent et …je me suis entendue défendre Twitter auprès de collègues réticents ! Mais dans notre champ ECF peu d’anciens, à part vous cher @Fources …et moi qui m’y risque parfois à pas comptés comme sur la neige qui recouvre encore aujourd’hui Rennes !

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  6. […] Twitter […]


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